Alain Damasio revient avec une nouvelle histoire, plusieurs années après La Horde du Contrevent, se déroulant cette fois sur notre planète, en France même, dans un futur proche (en 2040) ; un roman d'anticipation donc plus qu'une science fiction éloignée temporellement et idéologiquement de notre présent.
Les Furtifs raconte le périple d'un père et d'une mère désirant retrouver leur enfant ayant subitement disparu une nuit. Le père surtout cherche sa fille alors que la maman essaie de tourner la page, croyant celle-ci prisonnière ou plus vraisemblablement assassinée par son ravisseur. Lorca (le père donc) croit lui à une autre théorie, plus farfelue, selon laquelle sa fille aurait suivi de son plein gré un furtif, un animal (mais en est-ce vraiment un ?) dont lui a parlé la jeune Tischka. Ces derniers semblent être les derniers éléments cachés, invisibles d'un monde où tout est contrôlé, pucé, tracé ; un monde dans lequel les villes même ont été privatisées, achetées par des grands groupes. Lorca va donc s'atteler à chasser les furtifs pour essayer de retrouver sa fille.
L'auteur de La Horde démontre une nouvelle fois son talent à construire et à imaginer un univers crédible, dense, dans lequel évoluent des personnages finalement très proches de nous, d'autant plus dans ce roman qui se passe dans un futur proche. Il en profite ici pour poser une critique de la société actuelle et de ce vers quoi elle tend inexorablement. Privatisation à outrance, capitalisme liberticide vantant la liberté et la sécurité, technologie et science servant les enjeux économiques au détriment de l'humain, Damasio joue à fond la carte du futur dystopique mais par ses personnages amène une couche d'espoir et la possibilité d'un changement.
C'est dans tout cela que l'auteur excelle, plus que dans l'écriture d'un scénario relativement prévisible ou dans les passages de poursuite ou d'affrontement guère passionnants.
Les débats (la scène du débat politique vers la fin du roman est géniale), les échanges d'idées entre personnages, les différentes rencontres font tout le charme d'une œuvre longue, parfois fumeuse mais riche d'un propos politique et philosophique intéressant.
Et puis il faut reconnaître une nouvelle fois la qualité de l'écrivain, son inventivité, sa manière de jouer avec le vocabulaire (parfois éthérée, parfois geek/technophile, parfois en langue étrangère, parfois vulgaire, parfois relevé), avec la syntaxe, la ponctuation. On ne peut être qu'admiratif du travail effectué par Alain Damasio pour écrire un pavé qui se tient de bout en bout dans un style original et détonnant.
Sans compter que le récit se suit plus facilement que celui de La Horde grâce à un nombre de personnages réduit. On s'embrouille moins dans les idéogrammes (servant à identifier la personne qui parle) et cela fluidifie la lecture là où La Horde avait tendance à fatiguer le lecteur.
Les Furtifs est un roman d'anticipation de belle qualité tant sur le plan stylistique que dans la création de son univers et la mise en place de ses idées. Il souffre juste d'un scénario qui, de débuts prometteurs, s'essouffle vite et n'est pas bien servi par une action moins intéressante à suivre.
Ces regrets mis à part il n'en reste pas moins une œuvre que l'on ne peut que recommander pour ses puissantes qualités évoquées ci-dessus.