C'est en c'est mots qu'on pourrait résumer la thèse du livre. Tout d'abord, il faut s'appesantir sur la notion de "ghetto", habituellement réservée à des catégories de populations exclues de la société. Ici, c'est un ghetto volontaire, c'est-à-dire que par souci d'endogamie, la haute bourgeoisie se réserve un espace d'entre-soi, un espace préservé. Cela n'est pas possible que parce que la définition de cette haute classe sociale est qu'elle est au sommet de toutes les institutions et instruments de pouvoir. Ainsi, elle a les moyens politiques, sociaux et financiers de s'aménager son propre espace.
Quels sont les leviers, justement, de ce pouvoir ? Les clubs, bien entendu, que ce soit le très fameux club de l'Interalliée, à quelques pas de l'Élysée, les activités sportives comme le golf bien sûr, mais aussi dès le plus jeune âge au travers des rallyes. Là où le système est hypocrite c'est qu'il est extraordinairement codifié. A votre tenue, on serait vous dire si vous faites parti du club. Expérience faite par les sociologues qui ont pu pénétrer dans une soirée de l'Interalliée simplement en adoptant les bons codes d'usages. Pas besoin de votre identité. Ce sont vos manières qui comptent. Plus encore, le rallye, laisse entrevoir la possibilité pour des jeunes gens de trouver l'amour, libre et romantique, choisi. Mais en réalité, les convives sont tous issus d'un même milieu étroit. L'amour sincère et non arrangé comme autrefois continu cependant de se pratiquer dans une logique endogamique.
Ces lieux de vie bourgeois sont visibles depuis longtemps. N'a-t-on jamais vu cette fameuse porte de service, au côté de l'immense hall d'entrée d'un immeuble de l'ouest parisien? Tandis que vous grimpez les poussiéreuses marches pour vous rendre dans votre chambre de bonne, le grand bourgeois possède un deux cent mètres carrés dont le coeur est la réception, qu'il faut grande, pour entretenir cette logique de cercle et de clan, qu'importe que le reste de l'appartement soit en réalité très étroit et mal conçu. Le salon est le centre de ce monde. Ce monde, il s'étend depuis Saint-Germain jusqu'au fond des Hauts-de-Seine (de Neuilly, à Rueil, du 17ième au 8 arrondissement et puis sans oublier le 7ème arrondissement de Paris).
Il ne faut cependant pas lire le livre avec une perspective complotiste où les grands bourgeois ne seraient que de grands profiteurs pourris et corrompus. Au contraire, la grande bourgeoisie occupe le pouvoir sans pour autant snober le reste de la société. Elle développe ses cercles et l'endogamie simplement pour pouvoir exercer le pouvoir via la cooptation. Elle ne le fait pas contre le peuple ; elle le fait pour elle, tout simplement. Cette logique de classe est la même pour les ouvriers au sein d'une usine par exemple, avec des perspectives très différentes.
Le livre suit une perspective marxiste. Il faut la relativiser : la haute bourgeoisie est loin d'être uniforme. En témoigne cette phrase du livre qui finalement résume cette classe sociale : "la continuité dans le changement". La haute bourgeoisie n'est plus forcément catholique traditionnaliste, n'est pas forcément de droite, n'est pas non plus forcément adepte du golf et des chaussures bâteaux. Elle accepte et prends à son compte les évolutions sociales et les moeurs : divorce, etc... Elle ne cherche pas à revenir aux temps de la monarchie. Ce qu'elle cherche, comme toute classe sociale : conforter sa puissance au travers d'un levier financier qui doit devenir une richesse sociale.
Toujours à la pointe des questions sociologiques, le couple de sociologues de Pinçon-Charlot analyse finement le phénomène de richesse capitalistique et richesse sociale.