J'ai lu Les Grands-Mères en 2013, l'année du décès de Doris Lessing.

Je ne la connaissais que de nom mais trouvai sur slate.fr une courte vidéo montrant sa réaction lorsqu'un journaliste lui annonce qu'on va lui décerner le prix Nobel de littérature. J'ai trouvé cette vieille dame drôle et pétillante, on ne peut qu'avoir envie de la lire.
En adaptant ce court roman au cinéma, Anne Fontaine a eu raison de l'intituler Perfect Mothers car, si Les grands-mères paraît plus dérangeant, le titre du film a le mérite, outre l'ironie, d'annoncer une réflexion sur la perfection.
Les personnages de Roz, Lil, Ian et Tom sont des êtres si complémentaires qu'ils n'ont pas besoin des autres, sauf pour le mariage ou les enfants, de sorte que les autres êtres humains leur sont comme des accessoires. Ainsi, évoquant Saul Buttler, un prétendant de Lil : « Roz et Lil étaient tombées d'accord pour dire qu'il aurait fait un bon mari si l'une ou l'autre en avait cherché un ».
J'étais souvent perdue ne sachant plus qui est Tom ou Ian, Lil ou Roz. Les deux jeunes gens comme les deux vieilles dames sont quasiment interchangeables, confusion sûrement voulue par l'auteur qui leur a attribués des prénoms monosyllabiques (à la différence de tous les autres personnages) ; peut-être pour exprimer leur complémentarité.
Ils ont quelque chose d'irréel ces six êtres (si l'on compte les deux petites filles qui n'en ont que pour leurs grands-mères), si blonds, si parfaits, des êtres de contes de fées, vivant au bord de la mer.
Ils vivent un amour parfait mais la perfection est malsaine. C'est peut-être ce que montre ce petit livre, raconté sur le mode du sommaire, avec un art du résumé qui fait penser à un potin qu'une vieille dame du quartier pourrait nous raconter.
Ces personnages, qui paraissent improbables, sont pourtant doués d'une vie extraordinaire.
Quand Tom leur présente Mary, les deux femmes se concertent sur l'avenir de leurs fils-amants, et elles apparaissent vraiment sous le jour de femmes fatales :
« Elle est venue pour Tom, commenta la mère de Tom.
Oui, je sais, répondit la maîtresse de Tom.
Elle est plutôt gentille, reprit Roz.
Lil ne dit mot.
Lil, c'est le moment de tirer notre révérence, je pense, continua Roz. (…) Nous devons nous serrer les coudes et y mettre un terme. »
Il y a quelque chose de lugubre dans cette scène.
Après avoir refermé ce petit livre, je garde le souvenir à la fois d'un sentiment de gêne et d'une très grande sensualité. Il y a de très beaux passages sur l'amour, le plaisir sensuel, comme dans cette scène où Tom est allongé sur un rocher ayant gardé le soir la chaleur du soleil :
« Il se retourna à plat ventre sur le rocher et respira la légère odeur métallique, les effluves de poussière chaude et les arômes végétaux exhalés par de petites plantes poussant dans les interstices. Il pensa au corps de Lil qui sentait toujours le sel, la mer. Comme l'une de ses créatures, elle ne faisait qu'entrer dans la mer et en sortir, se séchait souvent au soleil et puis retournait à l'eau. Se rappelant que dans son tout premier souvenir il léchait le sel sur les épaules de Lil, il se mordit l'avant-bras. C'était un jeu auquel ils jouaient toujours, le petit garçon et la plus vieille amie de sa mère. Depuis qu'il était né le moindre centimètre de son corps avait été soumis aux mains fortes de Lil, et le corps de celle-ci était aussi familier que le sien. Il revit les tétons de Lil à peine couverts par le haut du bikini, ainsi que la légère coulure de sable miroitant dans le sillon entre ses seins, et le scintillement des grains minuscules sur ses épaules. »

LiliaTarelli
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le 7 févr. 2016

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Lilia Tarelli

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