Les Heures
7.6
Les Heures

livre de Michael Cunningham (1998)

Quand un excellent film donne envie de lire le livre dont il est inspiré et qu'on arrive à la fin de sa lecture sans savoir si on a préféré le livre ou le film, c'est qu'on tient là deux œuvres éminemment réussies. J'ai déjà parlé du film, alors c'est le tour de ce petit récit choral au charme vénéneux. Non pas qu'il traite de thèmes plus ou moins scabreux, mais plutôt qu'il chante un petit air entêtant, dont on pressent un sous-texte bouleversant sans que l'émotion ne saute à la figure les fesses en premier, si vous me passez l'expression. Au contraire, rien de racoleur dans cette écriture subtile, qui m'a rappelé la pénétration psychologique d'une Colette, avec quelque chose de plus moderne mais pas fanfaron du tout. Quand je parle de modernité, j'entends immanquablement les commentaires enthousiastes de la Grande Librairie sur l'écriture "à l'os". Pas de ça ici, non monsieur, l'adjectivation n'est jamais un gros mot dans ces pages denses, poétiques et si bien senties. Les trois trames permettent une lecture en 3-D, quasiment, et l'essence du message de Virginia Woolf, pour lequel ce livre constitue à la fois une sorte d'illustration, de commentaire par parabole et d'hommage, suinte entre les lignes. Autant dire que j'ai sauté sur le Mrs Dalloway de Virginia Woolf sans transition dès la dernière page lue. Je sais bien que je parcours le chemin à l'envers, que tout le monde a lu Woolf et donc abordé les Heures avec un bagage, puis The Hours, le film, fort de ces moments passés avec deux auteurs majeurs, mais ce pèlerinage en marche arrière ne manque pas de charme, à vrai dire. Il a créé chez moi un appétit qui me fait attaquer l’œuvre-source en trombe... j'en parlerai plus tard. Pour revenir à ce livre, dont les personnages avaient déjà pour moi un visage (surtout celui d'Ed Harris, curieusement...), jamais il ne m'a semblé redondant ou superflu par rapport à la version filmique, au contraire. Il creuse son chemin en souterrain, derrière les apparences, et je me suis émerveillée de la perspicacité de l'auteur sur certains sujets intimes, en relation avec la décadence secrète des femmes, cette défaite inattendue qui surgit sans crier gare un jour comme un autre, quand personne ne savait quel combat se menait exactement au quotidien dans n'importe quelle existence, notamment féminine. Un écrivain des femmes, des enfants et des poètes, ça ne pouvait que me plaire. Et des fleurs, aussi. Bref, une lecture indispensable, qui élève sans déclarations tapageuses et habite le monde avec une douceur aux senteurs de bois en décomposition.

ChristineDeschamps
10

Créée

le 12 sept. 2023

Critique lue 68 fois

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