Ce roman évoque la vie de Mani, un religieux, mais aussi un peintre, un médecin et sans s'en rendre compte un philosophe du IIIème siècle après J-C.
Je vais tout de suite en finir avec la question du manichéisme. Ce livre ne traite pas de cela. Si l'Histoire retient que le terme vient de l'homme au cœur de ce roman, ce n'est que par dérivation et simplification au cours du temps qu'est restée la définition que l'on en a aujourd'hui. Pour rappel, le manichéisme signifie une séparation caricaturale du Bien et du Mal.
En réalité, le concept qui convient mieux pour expliquer le message véhiculé par Mani, c'est celui de l’œcuménisme. Ce terme, qui date du XVI ème siècle (c'est dire la modernité du discours de Mani au IIIème siècle) signifie " de toute la Terre habitée, universel". Plus spécifiquement, lorsqu'il s'agit de religion, ce concept veut dire "qui rassemble" les croyances. C'est exactement ce qu'a voulu faire Mani. C'est un rassembleur. Mais un rassembleur bienveillant, qui ne cherche pas à fédérer de force. Non, il aspire simplement à plus d'équilibre.
Le livre raconte de manière romancée l'épopée d'un homme au service de principes de partage, de conciliation et d'amour. Imprégné de plusieurs religions, glanées au cours de ces lectures et rencontres, Mani en a fait une pensée pleine de libertés et d'ouvertures.
Dans Les Jardins de Lumière, nous sommes en l'an 240 et voici ce que dit le personnage de Mani :
- N'est-il pas le père, le Tout-puissant, l'infiniment bon, le Créateur de toutes choses ? [dit un détracteur de la pensée de Mani.
Mani répond ensuite :]
- Comment pourrait-il être à la fois bon et tout-puissant ? Est-ce lui qui a créé la lèpre et la guerre ? Est-ce lui qui laisse mourir les
enfants et maltraiter les innocents ? Est-ce lui qui a créé les
Ténèbres et leur Maître ? A-t-il promis que ce dernier existe ? S'il
pouvait l'anéantir d'un geste, pourquoi ne ferait-il pas ? S'il ne
veut pas anéantir les Ténèbres, c'est qu'il n'est pas infiniment bon ;
s'il veut les anéantir, mais qu'il n'y parvient pas, c'est qu'il n'est
pas infiniment puissant. C'est à l'homme qu'a été confiée la
création. C'est d'abord à lui qu'il appartient de faire reculer les
Ténèbres.
Dans ces propos, presque anachroniques, on voit toute la modernité de la pensée.
Alors, comment pouvait s'exprimer Mani ? Comment a-t-il pu continuer à parler ainsi, sans déranger les religions en place ? Je ne vais pas dévoiler le livre, mais bien sur qu'il n'a pu exprimer toute sa pensée librement. Bien sur que ce discours était profondément hérétique à l'époque, car profondément salutaire et moderne.
Mani est aussi un grand voyageur. Il a voyagé dans de nombreuses contrées. Il aimait prêcher sa pensée, la donner à plus de personnes possible. Il a célébré le fait de partir, d'avancer, de marcher, de voyager. En ressort, cet autre extrait :
Partir, se répétait Mani, partir est une fête, la seule peut-être,
sous mille formes, sous mille habits de crêpe ou de chêne. Éternels
otages de l'horizon, les hommes ont-ils jamais célébré autre chose ?
Là, c'est Amin Maalouf, qui s'exprime. Amin Maalouf qui se fait l'interprète de Mani. Il donne sa voix, sa plume pour son personnage. De son écriture simple, se développe la personnalité de Mani, et l'auteur disparaît derrière son personnage, humblement.
Et je remercie Amin Maalouf de m'avoir permis d'approcher ce grand homme que fut Mani.