L'époque d'après-guerre était semble-t-il propice à la littérature engagée, politisée, idéologique, et un an après "Les Mains Sales" de Sartre, Camus publia "Les Justes". Même thématique des révolutionnaires prévoyant un attentat, en vue de renverser l'ordre établi. Et pourtant, Camus nuance bien plus son propos que Sartre, en confrontant le "terroriste" à ses victimes et en montrant tout son questionnement intérieur, ses hésitations, qui démontrent toute l'humanité qui peut se cacher derrière de tels gestes. Si Yanek veut tuer, c'est parce qu'il n'y voit pas la mort d'un homme, mais la mort d'une tyrannie. Mais à partir du moment où cela implique de tuer des enfants (toujours supposés innocents), la révolution est-elle toujours juste ? La vie de deux enfants nobles vaut-elle plus que celle de tout un peuple en souffrance ? D'un autre côté, l'archiduc est peut-être un homme intrinsèquement bon, lui-même simple pantin du système, alors que les enfants pouvaient être déjà mauvais. Alors, où est la justice ? La fin est en tout cas poignante, tant le suspense est réel, et le verdict significatif (même si ça rejoint pas mal la conclusion des Mains Sales) : faut-il mourir pour ses idées ? Ou mourir est-il trop facile, par rapport à la vie, qui force à assumer ses idées jusqu'au bout ?
En tout cas, Camus interroge beaucoup, mais distille ses réponses sans forcément imposer un point de vue, ce qui en fait une pièce réellement et sainement propice à la réflexion.