Rassurez-vous, il n'a rien appris – et c'est pour ça qu'on l'aime ! Car comment ne pas apprécier ce fossoyeur du PS et de la gauche de gouvernement, ouvrant la voie aux deux droites de gauche désespérantes que sont le FN de Marine Le Pen et LREM ? Peut-être en se rappelant qu'il personnifiait l'égarement d'un pays fatigué et confus face à de multiples submersions (la mélasse de l'UE, la mondialisation qui le fait se sentir dindon, les migrations sans frein et l'islamisation dont le nid est déjà installé, la ringardisation et l'effritement de la grande et vertueuse vocation française). Face au terrorisme et aux restes des troubles, Hollande a fait de belles cérémonies et s'est bien tenu ; « président normal », il a porté une bonne parole publique, très appropriée et sobre ! Il en est content – pourquoi n'être pas ravi avec lui ?!


On doit saluer chez Hollande une sorte d'intégrité voire de transparence car on le reconnaît dans cet essai dont il ne ressort pas grandi (c'est simplement moins croustillant qu'Un président ne devrait pas dire ça mais le protagoniste est le même – ou alors, la doublure a une grande conscience professionnelle). C'est à la fois facile à lire (immédiatement pénétrable) et assommant (souvent futile ou trop généraliste, digne d'un commentaire journalistique partisan de ses initiatives). Il exprime la pudeur, la politesse de celui qui souhaite éviter le trouble, mais aussi une amertume face à l'absence de considération pour les bienfaits de ses mesures, voire l'absence de conscience de leur existence ; ce n'est pas de l'aigreur, plutôt une tristesse face à ces barrières à la consommation tranquille du contentement de soi. Et bien sûr il a raison ; les agitateurs d'opinion et les énervés professionnels sont par vocation (ou médiocrité) incapables d'être justes ; et Mimolette n'était pas assez fringant ou impressionnant pour susciter davantage qu'une bienveillance théorique de la part des observateurs et des prescripteurs dont il est pourtant le représentant naturel.


Pour justifier son existence dans la carrière politique Hollande déroule son identification de turbo social-démocrate (ou moyen² dans le contexte français) et fait résonner son mantra du « dialogue social » ; qu'attendre de mieux d'un dirigeant raisonnable en démocratie repue, stratifiée et sans intensité ? Bien sûr il faut être pragmatique etc alors le même personnage condamne cette opposition venue de son camp qui l'a contraint à recourir au 49.3 (à la manière d'un bon père de famille qui n'aurait pas le choix de sévir). Et il ne ment pas : il déteste passer en force ! En bon gardien il tient à préserver les apparences et éviter le désordre. Mais aussi il a foi dans ce sentiment d'unanimisme (« une bonne réforme, c'est d'abord celle qui survit aux alternances ») qui n'existe que dans les écritures saintes, scolaires ou de médias publics.


Avec lui le récit progressiste prend une teinte mollasse et consensuelle, ponctuellement nuancée par ce pincement hautain de ceux qui se sentent moralement irréprochables mais se retiennent de l'étaler trop ouvertement car malgré leur conviction ils devinent que la moindre vague hostile les claqueraient au sol. Pourtant Hollande n'est que très peu moraliste et n'utilise la culpabilisation que pour gronder ses dissidents inconséquents. Il reste avant tout un opportuniste (dans un sens neutre – le sens sale est plutôt pour Montebourg, le sens bipolaire pour Macron), laissant les hystériques et les passionnés de son camp modeler un soupçon de sensiblerie censé humaniser son profil : d'où cette allégeance ridicule au wokisme franchouille (même pas drôle tant c'est emprunté et souverainement benêt comme le reste), où le Président de la République française ressert la soupe des tâches hommes/femmes assortie d'une petite flatulence-repentance à propos de ce mâle non-éclairé qu'il était, de « la culture judéo-chrétienne » et ses « préjugés ». Heureusement Hollande se remet de toutes ses confessions douloureuses – pas un tourment ne le minera ; cette incarnation du 'dernier des hommes' nietzschéen fait aussi partie d'une minorité d'hommes dont un certain 'vide' fait une force immense.


Car ce qui marque le livre et le style Hollande, qui est tout sauf un offensif ou un narcisse, c'est une auto-satisfaction qui lui donne, malgré l'aura de chamallow humain, un aplomb et une résilience rares – et éventuellement une perte de réalisme. Cette capacité de sombrer dans le manque de jugement invraisemblable culmine avec une séquence où Hollande estime avoir rabattu le caquet de Poutine ! On en mourrait de honte pour lui afin de ré-équilibrer – ou bien on aimerait rire ou se prétendre surpris quand il n'y a qu'à soupirer. Les propos d'Hollande sont souvent lucides et défendables mais jamais profonds ou originaux et assortis d'un maigre lot de plans ou principes à accomplir. Dans les pires moments et spécialement au début du livre, il y a de quoi se demander si ce type a assez de hauteur de vue pour garder les clés de la cantine ou faire un garde-champêtre honorable. À d'autres on part dans des états seconds pour un peu qu'on soit venu fatigué et au retour, on se demande comment ces lignes médiocres de rentier journaliste ont pu atterrir entre nos mains.


Le mieux, c'est quand Hollande s'épanche personnellement. Même avec ses poussées d'hypocrisie et ses demi-vérités il est alors moins creux. Comme sa faculté d'ignorer et minimiser les problèmes est colossale, il faut des sujets ou partenaires directement conflictuels, non des ennemis lointains ou communs mais bien ceux arrivés près de sa peau ; ainsi il se montre passif-agressif à l'évocation des individus (par exemple Pierre Gattaz) ou de leurs prétentions (les 'Frondeurs' du PS anti-centriste). C'est tout ce qu'il s'autorise – et il se l'autorise constamment ! Il tacle Montebourg, ce clown vaniteux dont on a pu déjà oublier qu'il était ministre du 'Redressement productif' (similaire aux '75%' : quand on a pas les moyens ou l'envie de sa politique de 'ré-enchantement', rien ne vaut une fuite en avant symbolique et du stalinisme en verbe !) et qu'aux primaires du PS en 2012 il a soutenu Hollande au second tour, contre Aubry qui semble naturellement plus proche. Quant à cet amour et cette admiration dont Hollande se sent entouré, qui ne manqueront pas d'amuser les briseurs de rêves d'enfants, elles évoquent les grandes tirades de Trierweiller dans Merci pour ce moment – il n'y a pas de plus grand contraste que celui entre l'émotion brûlante de madame et celle douce et éteinte de monsieur.


Ce caractère qui lui permet d'encaisser et avancer imperturbable est aussi celui qui le fait se noyer. En-dehors du noyau dur de hollandistes atteints au premier degré la principale motivation pour les lecteurs sera le rapport du président doublé par celui qui « sait ce qu'il [lui] doit » ; c'est assez court et plat dans l'absolu mais explosif dans le contexte du livre. Hollande a conscience d'avoir été un des derniers humains à réaliser le sale coup de son présumé dauphin, mais c'est encore la faute de son caractère ; Hollande n'est pas un idiot et même pas un aveugle. Il a simplement une tolérance et un attentisme défiant l'entendement – il est difficile de se figurer quelqu'un préférant rester innocent le plus longtemps possible néanmoins au sommet d'une quelconque direction, pourtant Hollande existe. Un autre aurait insisté sur la capacité de Macron à duper le monde pour justifier sa propre faiblesse, Hollande se focalise plutôt sur l'ambition dévorante du petit ministre des Finances. Il essaie de tourner l'affaire à l'avantage de tous en nous annonçant une sacrée histoire digne des meilleurs épisodes de la Ve ! Naturellement le Flamby romanesque s'est déjà évaporé la ligne suivante et nous aurons droit à un défilé de mensonges 'blancs' d'un Macron fuyant quand il n'est pas flamboyant. Mais que voulez-vous, ce garçon est si charmant ; il a cet « entregent » ! Et on sait qu'Hollande, comme tant d'autres ensorcelés, s'est reconnu en Macron ; d'ailleurs il dit de lui qu'il a « toujours cette façon de nier l'évidence avec un sourire » ; or Mr.Dolande jouait un rôle similaire face à ses camarades de jeu. Une vidéo précédant la campagne de 2012, où Mélenchon dénonce un accord non-respecté relatif à un vote interne lors d'un congrès du PS, était emblématique de cette roublardise. (Mélenchon n'est pas à pleurer, il s'agissait de se répartir les suffrages !).


En somme le livre donne la meilleure version du mandat d'Hollande : ennuyeuse et aveugle aux bouleversements en cours, hormis les secousses économiques. Hollande assimile social-démocratie et socialisme, la première étant même sa formule de base ; pourtant dès qu'il cesse de reluire les reliques son langage est centriste et acquis à l'orthodoxie sociale-libérale, aux perceptions a-priori fondées et équitables du type 'Il faut créer de la richesse pour pouvoir en partager'. L'ensemble des non-socialistes et des gens préférant le marché à la dictature d'entreprise peuvent sinon se mettre d'accord au moins endurer ce qu'il avance ; mais qui sera motivé par ces propositions par défaut ? Il rejette les primaires avec des arguments solides, mais c'est un signe de 'progrès' potentiel dont il se prouve ; en matière sociale, culturelle, économique, s'il se démarque c'est au détail et aux yeux des experts. Quasiment rien ne peut réjouir le camp du progrès ou apaiser une gauche franche ; rien dans son action ne peut amadouer les droites ou les libéraux. Il revendique des programmes fiscaux, minimas sociaux, emplois artificiels ; autant de protections complexes et couches contractuelles supplémentaires cherchant à contenter toutes les partis ou donner le sentiment d'une prise en compte. Il cite et revendique la 'flexisécurité', chantier poursuivi par Macron, plus cosmétique que concluant, habille le statut quo et prépare une réforme du travail et des retraites à laquelle seuls les vieux et les gens de gauche ne sont pas encore acclimatés. Finalement sa seule fierté un peu épique, c'est le Mali – et peut-être le « talent oratoire » de cette Taubira qui est simplement théâtrale, figée et assertive, mais que la gauche et le centre 'politiquement correct' adulent faute de figure plus brillante.


En mettant de côté tout ce qui lui est extérieur, en s'alignant sur le focus d'Hollande, on doit conclure que son mandat est plutôt un échec car passé le 'Mariage pour tous', il n'a que marginalement contribué à cette grande aventure du 'progrès'. Il revendique la filiation à une grande mission mais parle de chantiers technocratiques ou administratifs, propose des réformes de gestion en guise de grandes avancées inéluctables de la marche de l'Histoire. C'est que le changement dans un monde cuit est compliqué et puis, si le progrès nous a effectivement arraché des ténèbres, vient un temps où on tape au fond du panier. Au moins ce mandat d'accompagnement n'a été, sur le moment, qu'une déception ou une stagnation confortable et un peu déplorable, comme l'était pour le second de Chirac ; il n'est pas celui de la souillure et de l'accélération qu'ont été ceux des félons Sarkozy et Macron. Se contenter du poison le plus inerte ou de la trahison active : les français, veaux avisés, savent se garder les meilleures options !


Meilleurs morceaux :



« Najat […] cherchait à lutter contre les stéréotypes qui encombrent encore nos mentalités et induisent des comportements dont le harcèlement est le symptôme le plus évident. » (p.237)



« Il dispose d'un capital de confiance auprès du patronat qui a déjà ouvert les hostilités avec le gouvernement. Enjoué, tactile, il a le tutoiement facile et une tendance à embrasser ses visiteurs comme du bon pain, y compris Pierre Gattaz qui n'en demandait pas tant, ce qui ne laisse pas à chaque fois de me surprendre. Son énergie et son dynamisme lui valent quelques inimitiés chez certains de ses collègues de l’Élysée. Mais son sourire et son entregent apaisent bien des tensions. Il marche déjà plus vite que les autres. » (p.324)



« La perspective de voir se répéter le duel de 2012 Sarkozy-Hollande suscitait un rejet massif […] il n'était question que du refus du système, du discrédit des partis et, donc, du renouveau attendu qui « dégagerait » les occupants successifs du pouvoir. Là aussi, je me gardais de céder à l'humeur. Je la sentais mauvaise et vindicative. Mais je connais les Français. Ils veulent toujours du neuf mais ne choisissent la nouveauté que par défaut. » (p.348)



« Les libéraux ont réussi à insuffler peu à peu l'idée que moins de protections faisaient plus d'emplois […] et même, que la richesse quand elle dégouline pouvait désaltérer tout un pays. » (p.377)



https://zogarok.wordpress.com/2022/01/12/les-lecons-du-pouvoir-francois-hollande/

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le 12 janv. 2022

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