L’initiation sentimentale
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le 17 avr. 2014
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Il me semble au moins que c’est rendre un service aux mœurs, que de dévoiler les moyens qu’emploient ceux qui en ont de mauvaises pour corrompre ceux qui en ont de bonnes.
C’est ce qui est écrit dans la préface, et probablement l’optique dans laquelle je lis (et relis) ce livre. Probablement ce qui explique comment moi, je peux aimer un livre qui traite avant-tout de séduction et de manipulation, qui prend pour héros des personnages absolument méprisables, guidés par des principes haïssables et des intentions en tout points mauvaises. Ce qui est absolument exceptionnel, c’est la subtilité avec laquelle c’est fait, la façon dont le livre parvient à être dépourvu de vulgarité (ce que les adaptations peuvent avoir du mal à comprendre; hello cruel intentions). La façon dont le langage est utilisé. Parce que c’est sous la forme de lettres et que ce qui est magique c’est que tu lis ça en ayant constamment plusieurs niveaux de lectures, en dissociant ce que la personne qui écrit pense et ce que la personne qui la reçoit doit comprendre, quel est le but de chaque phrase,...
J’ai commencé à le lire la première fois et j’aimais bien Cécile : son innocence, son adorable naïveté, sa candeur,... Et puis j’ai avancé dans ma lecture et juste non. Sa naïveté devient juste une incroyable stupidité qui la conduit à se laisser avoir et à se compromettre. C’est comme Pinocchio, la naïveté qui conduit à se laisser corrompre n’est plus liée à l’innocence et je n’ai plus aucune tendresse envers ces personnages que je commence plutôt à mépriser. Innocence n’est pas ignorance. D’où l’intérêt du livre, forcément. Et Mme de Touvel ! Mme de Tourvel est absolument fantastique. Cécile ne tient pas un instant la comparaison. Voilà le genre de pureté et d’innocence auquel il est valable d’aspirer ; celui qui ne vient pas de l’ignorance mais des principes, celui qui est consciemment choisi et revendiqué. Celui qui ne conduit pas à l’aveuglement. Elle est intelligente, elle voit dans le jeu de Valmont (jusqu’ un certain point), et elle se défend admirablement.
S’il existe des plaisirs plus vifs, je ne les désire pas ; je ne veux
point les connaître. En est-il de plus doux que d’être en paix avec
soi-même, de n’avoir que des jours sereins, de s’endormir sans
trouble, et de s’éveiller sans remords ? [Mme de Tourvel]
Il faut avouer cependant que Valmont est sacrément doué, qu’il sait parfaitement ou appuyer. Il connaît ses points sensibles, qui sont en même temps aussi ses plus belles qualités. Parce que Mme de Tourvel est profondément une bonne personne, et déterminée à voir le bon en chacun. Et oui, forcément, ça peut être sacrément tentant l’idée de rendre quelqu’un meilleur, de l’aider à voir le bon qu’il y a en lui, à prendre conscience qu’il était dans l’erreur.
Né pour l’amour, l’intrigue pouvait le distraire, et ne suffisait pas pour l’occuper ; entouré d’objets séduisants, mais méprisables, aucun n’allait jusqu’à son âme : on m’offrait des plaisirs, je cherchais des vertus ; et moi-même enfin je me crus inconstant, parce que j’étais délicat et sensible. C’est en vous voyant que je me suis éclairé : bientôt j’ai reconnu que le charme de l’amour tenait aux qualités de l’âme ; qu’elles seules pouvaient en causer l’excès, et le justifier. [Valmont]
[Attention : La suite de la critique est envahie de spoilers]
Et oui Mme de Tourvel finit par se faire avoir, mais ça peut quelque part se comprendre. Enfin, si on oublie qu’elle est mariée, parce que juste je n’arrive pas à le voir comme ça, étant donné qu’elle n’en parle jamais. De même que je n’aime pas attribuer ses principes à la religion seule et que je préfère considérer qu’elle aime les principes pour eux-mêmes, ce que je crois véritablement. Quoi qu’il en soit, elle choisit de croire en lui, de laisser une chance à l’amour, et de placer son bonheur à lui avant le reste. C’est un choix qu’elle fait et ce n’est pas forcément le mauvais. Du moins ça ne le serait pas si il était vraiment celui qu’il prétend être. L’erreur est d’être aveugle. Et quelque part, je me demande si elle ne s’est pas un peu laissée avoir par son orgueil, sa conviction d’être intouchable, et même tellement intouchable qu’il ne prendrait même pas la peine d’essayer avec elle. Personne n’est intouchable, invulnérable, et oui aussi perceptifs et intelligent et déterminé que l’on soit, on a tous des points sensibles et la meilleure défense que l’on a c’est encore d’être conscients de ses propres points sensibles et du fait que l’on peut les utiliser contre nous.
Mais après tout ce n’est pas si décevant qu’elle se fasse avoir, parce qu’il se fait avoir encore plus qu’elle. Il ment mais seulement à moitié, il commence véritablement à l’aimer, et d’un amour fondé sur l’estime qu’il a pour elle. Et peut-être que ce qu’elle voit en lui est véritablement là. Mais lui il ne le voit pas. Et il ne choisit pas de se racheter et d’être heureux avec elle. Il pourrait mais il jette tout à la poubelle. Enfin, personnellement, je ne suis pas sûre de souscrire à cette idée qu’ils pourraient être heureux, vu que leur histoire repose quand même sur un mensonge et qu’il n’est jamais sincère sur ses intentions. Oh oui il est intelligent, un maître de la manipulation, expert dans l’art d’atteindre ces buts. Mais, je vous le demande, à quoi bon savoir atteindre ces buts si on oublie de se demander pourquoi on les poursuit, ce que ça va nous apporter, si ce sont les bons buts,... Alors oui, le sentiment de succès c’est super, je suppose. Mais est-ce que c’est vraiment le choix qu était le plus susceptible de le rendre heureux ? Et le mieux, c’est que c’est explicitement décrit comme une erreur et un aveuglement, et il est explicitement dit que c’est lui qui se fait avoir, vu que quelque part Mme de Merteuil l’a voulu, l’a manipulé, et se permet de le lui expliquer.
Oui, Vicomte, vous aimez beaucoup Mme de Tourvel, et même vous l’aimez encore ; vous l’aimez comme un fou : mais parce que je m’amusais à vous en faire honte, vous l’avez bravement sacrifiée. Vous en auriez sacrifié mille, plutôt que de souffrir une plaisanterie. Où nous conduit pourtant la vanité ! Le Sage a bien raison, quand il dit qu’elle est l’ennemie du bonheur.
Et elle [Mme de Merteuil] est celle dont je n'ai pas parlé, parce que je ne sais trop quoi en penser. Je sais que beaucoup l’admirent. Elle est certainement la plus maligne dans l’histoire, elle a conscience de tout. Des fois elle dit des choses dans lesquelles je me reconnaîtrais presque, comme par exemple :
Quand m’avez-vous vue m’écarter des règles que je me suis prescrites, et manquer à mes principes ? je dis mes principes, et je le dis à dessein : car ils ne sont pas, comme ceux des autres femmes, donnés au hasard, reçus sans examen et suivis par habitude ; ils sont le fruit de mes profondes réflexions ; je les ai créés, et je puis dire que je suis mon ouvrage.
Mais honnêtement, ses “principes” ne peuvent pas prétendre à ce nom ! Ce ne sont pas des principes bon sang ! C’est comme si à ces yeux, la morale et la vertu n’étaient que des conventions sociales, adoptés seulement par des moutons incapables de penser par eux-mêmes. Et il n’y a rien de plus faux; du moins aujourd’hui, mais après tout c’est vrai que ce n’est plus la même époque. Je trouve juste ça incroyablement dommage de donner l’impression que l’indépendance d’esprit, l’intelligence, la force de caractère, la liberté, ont pour conséquence l’immoralité et le désir d’emprise sur autrui, de supériorité. On ne joue pas avec les gens, et ce n’est pas parce qu’on en est capable qu’il faut le faire. Et cette fausseté ! Il n’y a rien d’admirable dans le fait de porter constamment un masque. Où est la force quand on n’est pas capable d’afficher qui l’on est ? Et si c’est impossible, c’est peut-être qu’il y a un problème avec qui l’on est justement.
Il n’y a définitivement que Mme de Tourvel qui soit admirable dans ce livre. J’irais même plus loin : c’est même la seule à ne pas être méprisable (avec quelques autres mais on ne va pas parler des personnages très secondaires).
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Créée
le 28 juin 2015
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