Plus jeune déjà, alors que les Loups se révélaient à moi, le parallèle entre Alec Covin et l’incontournable Stephen King s’imposait. Une comparaison commode mais pétrie de sens, l’auteur français (malheureusement très rare) évoquant avec ce premier roman l’œuvre du maître de l’épouvante fantastique, qu’il s’agisse du registre ou du style. Les loups de Fenryder n’est toutefois pas un vulgaire décalque des tourments affectant le Maine, qui cède ici la place à une Louisiane centrale : au contraire, il impose une patte et un univers enjoignant à en découvrir encore plus.
Au point d’ailleurs d’y retourner et de savourer une seconde lecture confirmant sa réussite, laquelle tient avant tout aux spécificités développées ici par Covin : la mythologie des Loups, l’emploi de la Peur et l’impuissance de ses protagonistes. Une triade d’éléments indissociables les uns des autres, parfaitement portés par la plume habile du romancier… lequel ne lésine pas sur l’horreur : car si l’empreinte surnaturelle de cette confrérie secrète a de quoi remuer, le récit se fend à maintes reprises d’une froide cruauté n’épargnant rien ni personne, et surtout pas les conventions d’usage (femmes et enfants).
S’instaure ainsi un entre-deux diabolique avec le pouvoir terrifiant des Loups, faisant de la Peur une arme à part entière, et l’épouvante brute d’une réalité virant au cauchemar éveillé. Ainsi, la séquence du « grand bassin » se pose comme l’archétype même du procédé, bouleversant et trahissant les normes d’un quotidien qu’il dénature : les Loups sont dans la bergerie, et les craintes des moutons nourriront leur propre perte. Pire encore, l’intrigue dépeint parfaitement de l’incongruité de la chose pour le grand public, les grands sabots du rationalisme empêchant la vérité d’éclater et accroissant le drame à l’œuvre.
Puis il y a donc le désarroi des survivants, entre deuil dévastateur et traumatismes insurmontables : captant avec une facilité déconcertante l’empathie du lecteur, les infortunés Baldwin et Holder (un écrivain, tiens donc) démultiplient la puissance horrifique et dramatique des Loups de Fenryder. Figures de l’ordinaire, ils se font malgré eux victimes et acteurs d’un récit palpitant dont le dénouement, obscur jusqu’au bout, maintiendra un suspense délectable, conforté par l’apport « d’anciens » dépassés mais essentiels à la bonne tenue (et conclusion) des festivités.
Finalement, nous trouverons davantage à redire concernant la signature verbeuse de certains personnages, peut-être trop excentriques au regard de la tonalité globale du roman : mais là encore, outre l’implication de puissantes factions, gageons que pareille démarche s’inscrit dans la mise en relief d’une épouvante prédominante, laquelle emporte tout sur son passage. Bref, si tout n’est pas parfait, Les loups de Fenryder fonctionne à merveille et aiguise l’appétit du lecteur : relire États primitifs ne tardera pas et, surtout, enfin découvrir le dernier volet de la trilogie, Le général Enfer.