Cette pièce écrite en 1948 est une excellente démonstration du théâtre de situation. Ici, le lecteur est engagé et doit faire le même choix que Hugo : faut-il tuer Hoederer, et ainsi condamner sa politique et son choix d'alliance politique ?

« Plongez les hommes dans des situations universelles et extrêmes qui ne leur laisse qu'un couple d'issues, faites qu'en choisissant l'issue ils se choisissent eux-même : vous avez gagné, la pièce est bonne » disait Sartre, dans Un théâtre de situation.

C'est précisément pour cela que je trouve cette pièce formidable : elle amène le spectateur à se poser tant de questions. Elle prouve aussi qu'agir, c'est forcément entrer dans l'altérité et c'est pourquoi toute action est si difficile.


Au début, Hugo agit uniquement pour prouver aux autres qu'il existe, dans un but narcissique. Il ne pose aucune valeur, se contentant d'épouser celles de ceux qu'il admire.

Hugo est en représentation constante par rapport au regard des autres. Parce que Hugo joue, ses actes n'ont aucun poids.
Même après avoir (** attention spoiler **) appuyé sur la gachette, son acte ne demeure donc qu'un simple geste. Il ne sait pas pourquoi il a tué Hoederer, et n'assume pas son acte, qui ne lui ressemble pas.
"Ce n'est pas moi qui ait tué, c'est le hasard."

Finalement, le sens de la décision finale d'Hugo est d'assumer ce meurtre, afin qu'il existe, et ainsi passer du geste à l'acte.
« Un type comme Hoederer ne meurt pas par hasard. Il meurt toujours pour ses idées, sa politique; il est responsable de sa mort. Si je revendique mon crime devant tous [...] alors il aura eu la mort qui lui convient »

Enfin, la pièce pose la question de l'action intellectuelle : Hugo est fasciné par l'action directe, mais c'est un intellectuel, il réfléchit trop. Il voudrait juste obéir, mais c'est impossible.
« Les vrais tueurs ne soupçonnent même pas ce qui se passe dans les têtes. Toi, tu le sais : pourrais-tu supporter ce qui se passerait dans la mienne si je te voyais me viser ? » Hoederer, s'adressant à Hugo

Sartre plaide donc pour l'action de l'intellectuel avec ses propres armes. La seule action efficace dans la pièce est en effet celle de la parole, cf. la leçon d'existentialisme donné à Hugo par Hoederer, l'unique personnage qui ne maniera pas d'arme.
« Tu as voulu te prouver que tu étais capable d'agir et tu as choisi les chemins difficiles : comme quand on veut mériter le ciel [...] La révolution n'est pas une question de mérite, mais d'efficacité ; et il n'y a pas de ciel [...] Le meilleur travail n'est pas celui qui te coûtera le plus; c'est celui que tu réussiras le mieux. »
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le 28 août 2011

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