Dans les rapports humains comme dans ceux que l'on tisse plus virtuellement avec certains artistes, c'est avec les gens que l'on connait le mieux et que l'on aime le plus que l'on peut se permettre d'être le plus exigeant, et parfois le plus sévère. Même si ça n'est jamais agréable.
Claire Castillon est mon auteur préféré : depuis son premier roman paru en 2000, j'ai lu et acheté tous ses ouvrages (Les messieurs est son quinzième), et lorsque j'ai su qu'elle était en dédicace près de chez moi il y a quelques années, je me suis précipité à sa rencontre, profitant du fait qu'à mon arrivée elle n'était sollicitée par aucun autre lecteur pour prendre le temps de lui dire comme son écriture avait impacté la mienne - au moins dans le désir d'écrire -, de me faire signer son ouvrage du moment et de faire une photo à ses côtés, la touchant par ma sincère attitude de fan midinette.
Alors c'est presque la mort dans l'âme que je me vois obligé de dire que sa dernière publication est excessivement décevante. Avec un rythme de production impressionnant qui pourrait lui valoir le surnom de "Woody Allen de la plume" (elle a sorti un livre presque tous les ans depuis 2000 et deux rien que pour l'année 2010), il serait évidemment miraculeux qu'elle parvienne à maintenir sans jamais faiblir le même degré d'excellence ; ce n'est donc pas la première fois que ma gourmandise de lecteur fidèle et impatient se voit contrariée par une sortie en-dessous des autres. Mais celle-ci est sans doute sa plus mauvaise.
Ce recueil de 21 nouvelles articulées autour des relations qui se nouent parfois entre des hommes mûrs et des femmes beaucoup plus jeunes qu'eux, pour certaines encore en pleine adolescence ou à peines majeures, n'aura jamais su m'intéresser. Peut-être parce que je venais de lire Tigre, tigre !, récit autobiographique captivant et édifiant qui décortique justement la mécanique perverse d'une relation interdite entre un vieil homme et une enfant, et qu'en comparaison j'ai trouvé bien fades ces petites histoires dans lesquelles ne survient jamais rien de plus grave qu'une rupture, une infidélité, un chagrin, une lassitude ou la curiosité dégoûtée pour le corps de la vieillesse, humilié dans des détails peu flatteurs.
Peut-être aussi et surtout parce que toutes ces nouvelles se ressemblent tellement qu'elles finissent par se confondre entre elles et qu'en en entamant une on soupire de retrouver la même dynamique que dans la précédente, les mêmes rapports tristes, banals et sans grand intérêt. Si bien que le style de Claire Castillon, toujours plein d'élégance et percé de quelques fulgurances poétiques, mais cette fois incapable de renouer avec son art de la chute percutante, semble s'étaler comme une parodie de lui-même qui n'en finit plus.