Je n'aime pas Hugo, son côté vieille barbe, ses élans faciles, son statut de totem républicain. Et pourtant, j'ai aimé lire le premier tome de ce livre (édition folio classique).
"Les misérables", c'est un roman-feuilleton, qui pour ces raisons défie le résumé dans un format comme celui de senscritique. Je vais donc résumer la trame brièvement.
Livre I - Fantine. Monseigneur Bienvenu est l'évêque parfait, un chrétien souriant qui vit dans la pauvreté et est adulé. Un soir, il accueille un forçat, que tout le monde a rejeté : Jean Valjean, puni pour avoir volé du pain, puis avoir tenté maintes fois de s'évader. Valjean vole son argenterie, mais l'évêque le disculpe lorsqu'on le lui ramène, et lui offre même deux bougeoirs. Impressionné par cette charité chrétienne, Valjean, pensif, vole accidentellement la pièce d'un gamin (elle roule sous sa botte), ce qui peut suffir à le condamner aux galères.
La suite est consacrée à Fantine, une jeune étourdie parisienne, abandonnée par son étudiant rentier. Elle pense retourner chez elle, à Montreuil sur mer, mais laisse sa petite, Cosette, à un couple d'aubergistes rapaces, les Thénardiers, à Montfermeil. Elle se fait engager dans la manufacture d'un mystérieux entrepreneur philanthrope, M. Madeleine, mais une contremaître, apprenant qu'elle est fille-mère, la fait renvoyer. Commence la descente, les Thénardiers augmentant leurs exigences : Fantine vend ses cheveux, puis ses deux dents de devant, puis tombe dans le ruisseau. Madeleine, qui est désormais le maire, la sauve in extremis de la prison, où veut l'envoyer le sinistre inspecteur Javert, mais elle tombe malade. Madeleine apprend par Javert qu'un homme, à Arras, est accusé d'être Jean Valjean et va être envoyé aux galères. Il se déplace, contre vents et marées, et annonce qu'il est Valjean. De retour à Montreuil sur Mer, Javert, qui l'a toujours suspecté, le fait arrêter et tue Fantine de chagrin. Valjean arrive à s'échapper, est rattrapé à hauteur de Montfermeil. Puis à Toulon, convict sur un bâteau de guerre, il sauve un marin et passe pour mort de noyade.
Le livre II, "Cosette", commence par une tartine de plus de 50 pages sur Waterloo. On retrouve ensuite Valjean, vagabond, qui récupère son magot, rachète Cosette aux Thénardier puis part se cacher dans les fabourgs de Paris. Repéré par le diabolique Javert, il fuit de nuit avec la petite. Sur le point d'être coincé, il escalade un mur et se réfugie dans un monastère, qu'il a auparavant financé, et retrouve un vieillard qu'il y a fait placer. Ce dernier le sort du monastère dans un cercueil, puis le fait embaucher comme assistant. Cosette devient pensionnaire.
Le livre III, "Marius", suit le fils d'un officier napoléonien qui a fini au ban de la société suite à la Restauration. Elevé dans le milieu ultra, le jeune homme, après la mort de son père, se découvre bonapartiste, est chassé de la maison de son grand-père, et se mêle à la société estudiantine, notamment "les amis de l'A B C". Passage en partie autobiographique de la jeunesse de Hugo, et évocation nostalgique des années de vache enragée. Le livre se clot sur l'idylle de Marius pour Cosette, qu'il croise au Jardin du Luxembourg, mais qui déménage sans crier gare, et sur une brève présentation de la pègre parisienne.
---------------------------------------------------------------------
J'aime beaucoup l'aspect feuilleton, du moment que le roman ne s'écarte pas trop de son personnage principal, Jean Valjean, cet homme doté d'une force fabuleuse, d'une volonté de fer, cet homme qui voudrait faire le bien mais se retrouve toujours au ban de la société, victime des apparences et des injustices. Il y a malheureusement aussi des tunnels où Hugo s'attarde lourdement sur son dieu, l'horrible Napoléon, discute "pour ou contre les monastères féminins" sans vraiment conclure, écrit une énième lettre d'amour à Paris, au risque de devenir obscur, distribue les bons et les mauvais points de l'époque de la Restauration, etc... etc...
Comme toujours, Hugo m'énerve un peu. Ses personnages, bien plus que ceux de Balzac, sont des archétypes, malgré toutes les notations "réalistes" qu'il insère, et ses prétendus hommes du peuple tendent au fond tous plus ou moins à la morale bourgeoise, comme leur auteur. Et puis l'auteur abuse un peu du procédé traditionnel du feuilleton : "qui est ce mystérieux homme qui entre dans Montfermeil ?", sans que le lecteur soit dupe.
Mais bon, il y a d'abord un indéniable don pour brosser des images qui frappent : la main de Valjean prenant le pain à travers la vitrine cassée, le cercueil où il manque d'étouffer, ou lorsque, silhouette sombre, et comme en contre-plongée, il soulève le seau d'eau que Cosette, épuisée et terrifiée, ramène de la source. Et puis elle est prenante, cette histoire. Voyons ce que nous réserve le tome 2.
----------------------------------------------------------------------------------
J'ai fini le tome 2, que j'ai moins apprécié. D'abord parce que la figure de Valjean cède un peu trop la place aux saints martyrs Enjolras et compagnie. Et surtout à caude du dénouement, où au fond Valjean régresse en amoureux transi, écorché vif, qui renonce à la fille qu'il a élevée, Cosette, sans chercher à lever les malentendus, dans une attitude doloriste que j'ai bien du mal à trouver grande.
J'en attendais beaucoup de la scène de barricade, mais je l'ai trouvée trop étalée et trop symbolique, au fond assez confuse : si le quartier est décrit de manière maniaque, les phases de l'action sont peu claires et sentent le feuilleton, et la fameuse mort de Gavroche est plus maniérée que pathétique. Je ne dois pas être sensible au romantisme hugolien, car la mort de Javert, je n'y vois pas un moment de grandeur à la Plutarque ou à la Corneille, je la trouve, encore une fois, maniérée et même un peu ridicule.
Reste le très bon passage dans les égoûts. Et tout ce qui touche à la déchéance de Ténardier, figure qui prend une ampleur démoniaque inattendue.
Que conclure de ce roman-fleuve ? Le premier tome est fort intéressant, le deuxième aurait gagné à être écourté et livre assez peu