Jean-Paul Sartre, les Mots. Voilà qui sonne comme il faut : listé, connu, classé. Inutile, donc.
Les Mots a atterri sur mon étagère avec une pile de livres reçus que je n’aurais jamais lus de moi-même. Jouant l’ouverture d’esprit, je les ai commencés les uns après les autres.
Jean-Paul nous livre ici l’autobiographie de Pilou jeune, dont il prétend se détacher le plus possible. En abordant les circonstances de sa naissance, en soulignant la stagnation de son enfance, en évoquant les trentes années nécessaires à se défaire des tels aspects de son éducation, il tend à afficher un recul plus qu’objectif, une analyse critique passablement dérangeante. Si des aspirations présentent avec les événements auxquels il les lie une filiation plausible, on se demande parfois s’il n’exagère pas un trait pour justifier ou la beauté ou la virulence de son propos.
Parce que, oui, il faut le souligner, le propos est beau et virulent. Les phrases sont travaillées, elles coulent, elles se mêlent, se contorsionnent. On dirait un nœud celtique : même s’il arrive que l’attention se relâche, qu’un instant l’on ne comprenne pas, on observe l’ensemble qui semble si bien, si voué à être un. Alors on fronce les sourcils, on se frustre d’avoir manqué le fil et, du doigt on reprend la sinuosité fascinante.
C’est d’ailleurs de là que vient ma note généreuse, je n’ai jamais su résister au charme des entrelacs ; mais si je dois regarder le fond plus attentivement, je dois dire que je manque souvent d’accepter les idées de Sartre et que je déteste la force avec laquelle, mine de rien, il les assène.
Pour être plus exacte, je pourrais être d’accord avec beaucoup de ses explications si seulement il les modérait. Parce que, non, ce n’est pas parce qu’on accepte qu’il y a un lien entre le vécu de l’enfance et les idées ou les manies de l’âge adultes qu’il faut sombrer dans le déterminisme. Et puis cette manie de prétendre durant deux-cent pages que toute affection n’était que simagrée est non seulement pénible mais en plus, à la longue, vexant pour les grands-parents de Sartre. Mais c’est sans doute parce que j’aime beaucoup mes personnes âgées que je ne supporte pas d’en imaginer le cœur brisé par un blanc-bec de petit-fils.
En fait, si je dois exprimer le fond de ma pensée à ce sujet, cet espèce de déterminisme du livre et cette manie de rejeter toute son éducation donne une impression de jérémiade assez exaspérante, et c’est dommage, parce que d’un autre côté, certains tons sont très justes. Je retrouve par exemple assez bien la manière dont j’ai pu m’exprimer mon enfance à dix ans dans le récit de Sartre.
Je suppose que je suis déçue.