Après avoir merveilleusement conté l'impitoyable nature sauvage dans l'Appel de la Forêt ou l'Amour de la Vie, c'est à la cruauté de la loi de la mer que Jack London s'attelle, ayant côtoyé et éprouvé tous ces milieux hostiles au cours de ses multiples vies. Et l'on sent bien ici, comme ailleurs, la pesanteur du vécu, la rudesse et l'apreté de l'existence.
En plus du cadre exceptionnel, offrant un théâtre de choix pour ses aventures, l'intérêt du roman réside dans le panel de spécimens humains que l'auteur donne à voir. Des créatures de cauchemar, gueules cassées et âmes damnées, à la santé mentale ou physique précaires, à la morale douteuse, pourtant habitées d'une rage de vivre extraordinaire. Des rusé(e)s à l'enigmatique dualité, des forces brutes parfaitement adaptées à la bestialité de leur milieu... La vie semble n'avoir épargné personne de ses déboires.
Trop coutumier de l'intransigeance des lois de la nature, qui veulent que seuls les plus forts l'emportent, Jack London crée une atmosphère inflammable et rejoue dans son roman le combat originel pour la survie. On en devient impatients de savoir si la rassurante force physique aura le dessus sur la ruse, si l'éducation aura la moindre chance devant l'obstination de la folie, et si la douceur de façade se révèlera à la hauteur de l'animalité primitive et de sa violence. Mais dans toutes leurs nuances et parmis toutes ces luttes, la plus abyssale d'entre toutes reste celle contre soi-même. Celle qui nous pousse à dépasser nos propres frontières, à nous surprendre et à utiliser la peur et son adrénaline comme ressort à notre élan vital.
Si, paradoxalement et comme le dit si bien Alexandre Dumas, "il faut avoir voulu mourir pour savoir combien il est bon de vivre", Jack London offre une autre dimension à cette citation en nous prouvant que de côtoyer l'enfer n'a pour effet que d'accroître notre attachement à la vie - peut-être simplement par habitude ?
Car la vie, selon lui, plus elle est dure et plus elle nous habite - à l'inverse, c'est quand l'existence devient confortable que s'éteint le feu sacré, et démarre le spleen de la fin.
Un roman exaltant sur l'instinct de survie, toujours enchevêtré entre fureur de vivre et pulsion de mort, thématiques fortes à l'auteur. Un déchaînement des passions et des éléments avec, pour toile de fond, ce constat implacable : tous dans le même bâteau.
Ce qui est sûr pourtant, c'est que quand votre heure viendra, vous finirez comme moi dans la nuit. Et votre nuit sera aussi sombre que la mienne.