C'est (forcément) quelqu'un parmi mes éclaireurs qui a attiré mon attention sur le roman "les mutinés de l'Elseneur" de Jack London. Mais qui ? Car personne n'a encore commenté ce roman et très peu seulement ont évoqué le film de Pierre Chenal qui en a été tiré dans les années 1930. Mystère !
D'ailleurs ce roman, excellent …, est aussi assez mystérieux dans la bibliographie de Jack London. Etrange et mystérieux.
Cet épais roman a été écrit en 1914 et s'inspire d'un voyage en mer effectué en 1912 sur un cargo (à voiles) de Baltimore à la Californie via le Cap Horn. A cette époque, Jack London est assez malade et mourra deux ans plus tard.
Etrange …
On a l'habitude de voir chez Jack London, une personnalité assez complexe où d'une part il défend volontiers des idées socialistes (et le menu peuple dont il est issu et qu'il n'oublie pas) et où d'autre part, il voue un culte assez prononcé pour les aventuriers et surtout pour les "self made men".
Dans le roman, le narrateur John Pathurst est un dandy new yorkais qui, pour se remettre d'une dépression, entreprend ce (coûteux) voyage en touriste. Il est donc logé avec l'équipe de commandement du navire. Et il y a une profonde dichotomie entre le commandement du navire constitué de vrais marins avec une grande expérience de la mer et l'équipage constitué à la va comme je te pousse par des repris de justice, des vauriens, bref des gens issus des bas-fonds qui n'avaient jamais mis les pieds sur un bateau (à voiles). Les relations entre les deux parties deviennent rapidement conflictuelles et le difficile passage du Cap Horn ne fait qu'accroître les ressentiments et les haines. On se serait attendu, de la part de Jack London, à plus de compréhension ou d'empathie face à l'équipage.
Là où on retrouve pleinement l'auteur, c'est dans les descriptions fortes des coups de tabac qui s'abattent sur le navire et dans son admiration du capitaine West (qu'il appelle le Samouraï) et surtout du second Pike, qui est une force de la nature à 70 ans et commande efficacement (et assez brutalement, faut bien dire) l'équipage. Le Samouraï n'intervient que dans les cas extrêmes laissant toute latitude à son second.
Lorsque se produit cette mutinerie (puisque le titre du roman semble le dévoiler), le narrateur prend fait et cause pour l'équipe de commandement du bateau contre les gangsters présents dans l'équipage et qui mènent cette mutinerie.
La fille du capitaine, qui a une grande expérience de la marine à voiles, fait partie du voyage. C'est un beau personnage qui se rend utile à de nombreuses occasions et éclaire ce roman de sa présence. C'est vraiment une bonne idée d'avoir introduit ce personnage. Une idylle se construira, d'ailleurs, peu à peu entre elle et le narrateur…
Mystérieux …
Deux passages (non essentiels et assez brefs) du roman m'ont beaucoup surpris ; j'ai d'ailleurs du mal à y croire et me demande bien la part du fantasme qu'ils comportent …
Le premier concerne la pêche de deux requins par l'équipage. Les deux requins sont éviscérés (je passage sur les détails un peu scabreux) mais restent vivants ! Mieux, le cœur détaché de tout le reste, continue à battre pendant des heures …
Le second concerne un évènement qui se produit en pleine mouscaille lors d'une énième tentative de passage du cap Horn. Au plus fort de la tempête, "atterrissent" sur le pont du bateau trois marins étrangers rescapés d'un probable naufrage à proximité (on ne saura rien d'eux ni de leur pays d'origine sinon qu'ils sont de vrais marins et ne seront pas mutins). J'ai trouvé ça assez incroyable et la probabilité d'un tel évènement me parait infinitésimale.
Au final, comme toujours chez Jack London, on a affaire à un roman absolument passionnant qui s'inscrit un peu en marge du reste de sa bibliographie.