Nous sommes en Irlande au début du XVIIIème siècle. A quelques lieues de Dublin, au milieu de vertes frondaisons, se dresse Morley Court, le manoir ancestral des Ashwood. C’est là que vivent le tyrannique Sir Richard, son fils Henry et sa fille Mary, aussi belle que douce. Cette innocente créature a donné son cœur à Edmond O’Connor, jeune catholique partisan de l’indépendance irlandaise. Mais leur idylle est contrariée par les machinations de Sir Richard qui projette d’unir sa fille à un vieux barbon cousu d’or ; c’est que seul un riche mariage peut encore sauver Morley Court de la ruine. Le baronnet et son fils décident donc de sacrifier Mary en utilisant les procédés les plus vils. S’en suivent de multiples péripéties qui entraînent le lecteur de châteaux en auberges, sur les routes poussiéreuses d’autrefois.
J. Sheridan Le Fanu est un auteur irlandais à l’imagination sans pareille. Adepte du mystère et du fantastique, il est surtout connu pour ses nouvelles, mais c’est aussi un formidable romancier ! « Morley Court », son premier roman (1845), est à la fois un récit d’aventures à la Walter Scott et un thriller des plus angoissants. On y retrouve tous les ingrédients du roman noir : attaques de brigands, sombres complots contre une héroïne persécutée, réclusion, héros machiavéliques, sans oublier les manifestations spectrales disséminées ça-et-là. Du déjà vu, me direz-vous ! Oui, mais grâce à son formidable talent de conteur, Le Fanu renouvelle tout à fait le genre. D’abord les chapitres sont courts et l’intrigue progresse à bon rythme, passant d’un personnage à l’autre pour ne pas lasser l’attention du lecteur. La noirceur de l’intrigue est quelque peu atténuée par les touches d'humour. Quant aux thèmes du roman gothique, ils prennent un aspect étonnamment moderne. L’histoire tout entière baigne dans une atmosphère onirique, entre le cauchemar et la légende. Et même le dénouement est loin des clichés : ne vous attendez pas à un « happy end » sucré, vous risqueriez bien d’être déçu !