Même les Dieux peuvent changer.

A une époque je relisais la saga entière tous les ans mais depuis quelques années j'avais complètement oublié cette extraordinaire série qui m'a énormément marqué quand j'étais petit.

Je discutais sur un forum d'histoires d'amour impossible et cela m'a fait penser à la relation empêchée entre Corwin et Deirdre, dont des éléments sont éparpillés tout au long des 10 tomes.

Je me suis mis en tête de relire le premier tome. De suite j'ai été happé dans l'univers. J'ai rapidement compris comment j'avais pu me prendre d'une telle passion pour cette histoire.

Plusieurs raisons à cela:

1°) Le héros/anti-héros est un régal à suivre en faux cynique et réel romantique, artiste à ses heures perdues il fait preuve d'imagination pour se sortir des mauvais pas, doué seulement dans l'art de se maintenir en vie comme il dirait. Il fait preuve d'une abnégation confinant parfois à l'absurde, est du genre à se jouer de la mort. En narrateur il brise parfois le 4ème mur (les séries n'ont rien inventés), ponctue le récit de réflexions vachardes qui rajoutent du sel. A coté de lui gravite une mythologie de personnages développés en quelques traits mais c'est efficace et la plupart ont des interractions intéressantes avec lui, chacun a son quart d'heure de gloire qui pose son portrait (Julian le froid calculateur, Florimel l'émotive pas très maline, Eric orgeuilleux et arrogeant, le noble Bleys). Random est le plus élaboré, l'alchimie entre les deux personnages est réussie.

Il est agréable de suivre cette famille chaotique ou règne la loi du plus fort "Je lui faisais confiance comme à un frère, c'est à dire pas du tout".

2°) L'univers est original et basé sur le principe des univers multiples, le fameux multivers. Au début des temps il y avait Ambre, unique et véritable réalité gouverné par une lignée immortelle dont tous les autres mondes, dont notre bonne vieille terre, ne sont que des ombres, des univers multiples, crées à partir d'elle. Les membres de cette famille peuvent tordre le temps et l'espace pour se déplacer d'univers en univers par le pouvoir de leur esprit. Le monde du merveilleux cotôie le plus terre à terre. Derrière le monde visible se trouve tout un champ de possibilités.

Il y a plein de bonnes idées qui font du bien à l'esprit et mettent des étoiles dans les yeux à un enfant: comme un jeu de tarots dont les figures sont remplacés par des dessins des membres de la famille et donc ceux-ci se servent pour communiquer entre eux ou se déplacer l'un vers l'autre. Une grande marelle permettant si on la traverse de se déplacer instantanément dans n'importe quel endroit possible et imaginable. Rebma, une Atlantide copie conforme d'Ambre ou les évènements qui se produisent dans la seconde se répercute dans la première. Ou encore la Pierre du Jugement pour maîtriser le temps.

En plus de se finir sur une fin ouverte riche de promesses pour la suite, une multitude de questions sans réponses sont posés dans ce tome 1 et presque autant de mystères, que ce soit des personnages dont le sort reste inconnu, que de nouvelles menaces à peine évoqués: beaucoup de pièces sont manquantes et pleines de promesses.

3°) Cinquantes pages de pure épique et l'aventue n'a de manière générale aucun temps mort. Bataille navale, combats d'infanterie, échappée face à une politique de la terre brûlée, alliance en plein milieu de la tempête ou encore duels à l'épée. Certes c'est fait de manière un peu comptable mais cela fait sens pour montrer à quel point il s'agit finalement d'une vaine boucherie. Cela donne lieu à un très beau, lorsque pour envahir Ambre, les deux héros doivent grimper à la poigne de l'épée un immense escalier incrusté dans la montagne, le deuxième assistant impuissant au progrès du premier :

J'étais prêt l'épée à la main, et j'observais Bleys.

Il était bon, meilleur même que dans mon souvenir. Il avançait comme un tourbillon. Son épée était vivante comme un éclair. Ses adversaires tombaient les uns après les autres -ah! mes amis comme ils tombaient! On peut dire ce qu'on veut de Bleys mais ce jour-la il avait été digne de lui-même et de son rang. Derrière moi, les hommes murmuraient avec respect. J'ai cru presque qu'il atteindrait le sommet. Il avait du sang sur la manche, mais il souriait. Les hommes qui se trouvaient derrière ceux qui mourraient étaient pâles. J'étais très ému. Il n'espérait surement pas réussir mais pourtant il continuait pour me donner à moi une chance.

4°) Le récit est parsemé de références culturelles, historiques et littéraires qui m'étaient alors inconnus. L'auteur est admiratif de la France, ça fait toujours plaisir. L'origine de la forêt d'Arden si précieuse au narrateur se passe de commentaires. Un des éléments importants et motivation du personnage est l'amour du foyer, la cité d'Ambre est un personnage à part entière.

Ambre, je me souviens de toi. Jamais plus je ne t'oublierai. Tout au fond de moi et au long des siècles je ne t'avais pas oubliée, car souvent la nuit, mes rêves étaient troublés par l'image de tes flèches vert et or et de tes vastes terrasses. Je me souviens de tes larges promenades, tes parterres de fleur rouge dorée. Je me rappelle les douceurs de ton air, les temples, les palais, les jardins que tu offrais et que tu offriras toujours. Ambre, cité immortelle, je ne peux pas t'oublier, maintenant moins que jamais, ni oublier ce jour sur la marelle de Rebma ou je me suis souvenu de toi, au milieu du reflet de tes murs et, ma faim rassasiée, j'avais connu l'amour de Moire, mais rien n'est comparable au plaisir et à la joie de ton souvenir. Même maintenant, je me souviens de toi avec amour, cité pour le gouvernement de laquelle j'ai été crée.

J'ai longtemps cru qu'on viendrait me chercher pour m'y ammener, il m'est arrivé d'aditionner et soustraire mon environnement le plus sérieusement du monde en espérant trouver le chemin d'Ambre, sans succès évidemment. Encore aujourd'hui je ne désespère pas!