Il s'agit pour moi peut-être du plus important ouvrage de philosophie du XXième siècle tant pour sa portée historique et politique que morale.
Arendt, juive exilée aux États-Unis, a eu le courage d'affronter le "mal radical" lors du procès Eichmann, ce célèbre et sinistre criminel nazi, à Jérusalem.
Génèse d'un procès historique et d'une philosophie
Loin de s'emporter avec émotivité - ce qu'on lui reprochera longtemps-, elle décrit la normalité de cet homme, finalement assez minable. Alors que les hommes jugent Eichmann comme un homme machiavélique et diabolique, Arendt voit dans cet homme la dérive d'un système et des normes morales. Elle considère qu'au fond, cet homme, ce bourreau, est incapable de penser. Et pourtant, il a accompli un mal radical.
La position parait étonnante. Mais, c'est en rendant la normalité à cet individu, somme toute si banal, que la vraie justice s'opère et que l'on peut avancer et sortir de l'horreur. En considérant Eichmann comme un surhomme diabolique, on empêche toute explication, tout jugement, et toute compréhension, on le laisse sur un piédestal, intouchable. En l'humanisant on peut enfin le condamner et la justice peut être rétablie.
** La posture du courage**
Derrière cette posture courageuse, on ne peut s'empêcher d'admirer le courage de la femme. Cette posture lui a valu l'opprobre de ses pairs et de la communauté juive. Pourtant, aujourd'hui, on reconnait la grandeur de cet ouvrage.
La conséquence en a été la suivante. Le mal est tellement radical avec le totalitarisme que l'homme s'efface. Il devient irresponsable. Hors, en humanisant ces hommes et ces femmes, criminels au sein d'un système, on donne la possibilité de juger et de responsabiliser et mieux, de pardonner, de panser les plaies. Voilà pourquoi cet ouvrage dépasse le stade philosophique. C'est une véritable posture intellectuelle et de courage.
PS : *Je vous conseille à ce propos le film Hannah Arendt qui retrace assez fidèlement la genèse de ce livre.*