Les os des filles
Hanoï 1965, l’histoire d’une femme qui aura trois filles. Indépendante et déjà percluse par la vie, la guerre vient affaiblir cette mère de famille et sa progéniture avec ses lots de morts, ses...
Par
le 30 nov. 2021
L’auteur est née « par accident » à Hanoï, de mère vietnamienne et de père français. Sa vie s’écoule avec insouciance, au sein de la bruyante et chaleureuse tribu familiale où, entre grand-mère, tantes et nourrice, elle compte « plusieurs mamans ». La soudaine décision de ses parents de partir s’installer en France fait exploser l’univers de la fillette. A onze ans, Line se retrouve brutalement transplantée dans un environnement inconnu et froid, loin de ses attaches. C’est un déracinement culturel, mais surtout une déchirure affective qui va la dévaster : Line sombre peu à peu dans un insondable trou noir, irrésistiblement aspirée vers un néant mortifère. L’anorexie la détruit.
Le récit s’ouvre sur le retour de Line à Hanoï. Elle a maintenant vingt-trois ans et est déjà revenue une fois après le début de sa guérison, à la recherche de ce qu’elle a quitté bien des années plus tôt. Hélas, la vie ne l’a pas attendue, et Line s’aperçoit bien vite qu’elle est désormais autant française que vietnamienne. Alors elle raconte : la vie de sa grand-mère, de sa mère et de ses tantes pendant les guerres qui ont ravagé son pays d’origine, sa propre enfance dans un bonheur coloré et turbulent, tout ce qui a constitué « ses os », même si cela a disparu aujourd’hui et si elle doit apprendre à en faire son deuil.
Les deux parties du livre sont aussi fascinantes l’une que l’autre : le récit du passé familial et de l’enfance vietnamienne de Line plonge le lecteur dans un tourbillon de vie et de couleurs dépaysantes ; l’anorexie racontée de l’intérieur ouvre des abîmes terrifiants de noirceur et d’impuissance. L’on ne peut que rester sans voix devant tant de souffrance et tant de force, dans cette guerre toute intérieure qui menace la vie de l’adolescente.
Les livres ont été le seul point d’accroche de Line pendant son désespoir. Et l’on comprend toute l’importance de la rédaction de son histoire pour la reconstruction de l’auteur. L’écriture possède un style très personnel : elle alterne constamment entre le "je", le "tu" et le "elle", dans une courageuse tentative d’exploration de soi, de cette fille fragile et forte qui avait perdu le contrôle et qui cherche à tâtons à se réconcilier avec elle-même.
Tout le livre n’est-il pas finalement que le rassemblement des pièces éparses du puzzle qu’était devenue l’auteur ?
Quoi qu’il en soit, jamais ce récit ne pointe du doigt ni n’accuse, jamais le moindre ressentiment n’affleure : Line ne règle ses comptes qu’avec elle-même, sans une once d’auto-apitoiement et sans une plainte.
Voici au final un roman fort et courageux, celui d’une résurrection personnelle effectuée avec une dignité qui force le respect. Il se dévore dans un souffle de sidération, celle que l’on ressent, impuissant, devant la souffrance la plus brute. Coup de coeur.
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Créée
le 20 mai 2020
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