La Havane, années 60. le castrisme est triomphant, et avec lui son binarisme irrrrrévocablé – avec moi ou contre moi - qui s'inscrira jusque dans la création littéraire. Enchâssés dans ce récent triomphe révolutionnaire qui prône la culture pour tous, trois jeunes écrivains enthousiastes créent une revue littéraire, le Güije, débrident leurs expériences d'écriture, libèrent leurs ardeurs amoureuses, rêvant du roman suprême, rencontrent les maîtres de la littérature insulaire, dans une galerie de portraits d'une exquise pertinence, pour perdre une à une leurs illusions, minées par la bureaucratique et perverse défense de la Révolution d'une nomenklatura déjà toute puissante.
Si je lui préfère "Les quatre fugues de Manuel" et la muy cubana "Sibérienne", Les paroles perdues sont une délicieuse aventure d'intellectuels perdus d'avance, où Diaz ne sombre jamais dans le règlement de compte idéologique, lui préférant le burlesque et l'humour, ce dernier ingrédient étant aux Cubains l'ultime parade que le castrisme n'a pas réussi à collectiviser.
Il se servait d’un gros volume, le manuel de marxisme-léninisme d’Otto V. Kuusinen, dont il avait soigneusement creusé les pages, le vidant ainsi de son texte, mais non des marges, si bien que ce n’était plus un livre, mais une brique creuse, une boîte vide. Le reste, mettre Sor Juana Inès de la Cruz à l’intérieur du Kuusinen, était un simple tour de passe-passe.