Plutôt que tenter de résumer, après lecture intégrale du livre, ce que je pense de celui-ci, je vous communiquerai au fil des pages lues (au fil des jours ou semaines, car ça n'est pas un livre qui se lit en quelques heures) mes réactions chaque fois que j'estimerai nécessaire de le faire. On verra ce que ça donne.

C'est mon premier Houellebecq. J'ai acheté le bouquin chez Flammarion il y a longtemps (c'est une "2ème édition", c'est dire !), mais je ne me décidais pas à l'attaquer. Je pense le lire tout doucement. Le finirai-je, d'ailleurs ?


Rien à signaler de particulier sur le prologue et les premiers chapitres de la première partie. Pour l'instant, cela ne me semble pas particulièrement enthousiasmant, mais ça ne me rebute pas.


De la page 83 (chap. 11) à la page 90 (chap. 12), ça se corse nettement. Là, je pense que la majorité des lecteurs n'ayant pas bac + 5 abandonnera. Je cite (page 84) : "Les histoires consistantes de Griffiths ont été introduites en 1984 pour relier les mesures quantiques dans des narrations vraisemblables. Une histoire de Griffiths est construite à partir d'une suite de mesures plus ou moins quelconques ayant lieu à des instants différents. Chaque mesure exprime le fait qu'une certaine quantité physique, éventuellement différente d'une mesure à l'autre, est comprise, à un instant donné, dans un certain domaine de valeurs." Etc.
Je me suis accroché, j'ai lu et relu lentement la fin du chap. 11. Puis le début du chap. 12 qui, sur deux pages, énonce des généralités "sociologiques" relativement intéressantes sur les années 1970.
Puis l'histoire proprement-dite que raconte le roman (celle des demi-frères Michel et Bruno) reprend en fin de page 90.
Et là, j'ai éprouvé le besoin de reprendre ma respiration et l'envie, parallèlement, de commencer ce journal de bord de ma lecture... Que j'ai poursuivie jusqu'à la page 102 (début du chap. 14 titré "L'été 1975"), sans avoir rien de particulier à ajouter. Rien de bien surprenant ou choquant à signaler, sinon l'assassinat bête et sans raison d'un petit chat présent lors d'une séance de masturbation du jeune Bruno (17 ans ?).
Le site m'obligeant à mettre une note au roman pour publier ce début de critique, je lui en attribue une provisoirement ; je n'ai pas encore véritablement d'avis à son sujet.


Lu le premier tiers ou un peu plus. Je commence à me faire une idée un peu plus précise du bouquin. C'est assez crade mais je ne peux m'empêcher de me marrer de temps en temps.
Un exemple du style et du propos ? Pages 140-141 :
"Merci pour cet échange..." fit la catholique en tournant la tête de son côté avec un joli sourire. Allons, il ne s'en était pas trop mal tiré. "Parler avec ces pétasses, songeait Bruno en retraversant le camping, c'est comme pisser dans un urinoir plein de mégots; ou encore c'est comme chier dans une chiotte remplie de serviettes hygiéniques : les choses ne rentrent pas, et elles se mettent à puer." L'espace sépare les peaux. La parole traverse élastiquement l'espace, l'espace entre les peaux. Non perçus, dépourvus d'écho, comme bêtement suspendus dans l'atmosphère, ses mots se mettaient à pourrir et à puer, c'était une chose indiscutable. Mise en relation, la parole peut également séparer.


Tout le passage (P. 154-158) relatif aux "magnifiques expériences d'Alain Aspect sur la non-séparabilité du comportement de deux photons successivement émis par un même atome de calcium" est incompréhensible pour tout lecteur n'ayant pas au moins un master en biochimie. Voici un échantillon de la chose : "on avait affaire à une réfutation complète des objections émises en 1935 par Einstein, Podolsky et Rosen à l'encontre du formalisme quantique. Les inégalités de Bell dérivées à partir des hypothèses d'Einstein étaient nettement violées, les résultats s'accordaient parfaitement avec les prédictions de la théorie des quanta. Dès lors, il ne demeurait plus que deux hypothèses". Etc.. Bref, quatre pages illisibles (poudre aux yeux pseudo-scientifique ?), au terme desquelles l'écrivain retombe ainsi sur ses pattes : "Ensuite, tout s'était déroulé normalement ; il s'était étonné de pouvoir bander, et même éjaculer dans le vagin de la chercheuse, sans ressentir le moindre plaisir."


Je m'interromps, p. 174, au début du chap. 7 de la 2ème partie (intitulée Les moments étranges). En fin du chap. précédent, a eu lieu la scène ainsi résumée dans la 4ème de couverture : Un soir, dans le jacuzzi (du Lieu du Changement, camping post-soixante-huitard tendance new age, où Bruno fait un bref séjour), une inconnue à la bouche hardie lui fait entrevoir la possibilité pratique du bonheur.


Ce chap. 7 et le chap. 8 suivant (p.174 à 186) valent la peine. Les meilleures pages du livre jusqu'à présent. Extravagantes, croquignolesquo-croustillantes, instructives, relativement audacieuses donc possiblement choquantes. Bref bonnes, bien imaginées et plutôt bien écrites. Elles décrivent une relation amoureuse naissante entre Bruno et Christiane ("l'inconnue à la bouche hardie" de la fin du chap. 6). Je ne fais aucune citation pour ne pas déflorer le passage (et respecter le travail de l'écrivain). Si vous n'avez qu'une demi-heure à accorder à ce roman, ce sont ces pages-là qu'il faut lire et... il y a de pires façons de perdre son temps.


Je poursuis ma très lente lecture du roman qui - l'ai-je dit ? - alterne les points de vue contrastés des demi-frères Bruno et Michel. Le premier est professeur agrégé de l'enseignement secondaire, le second un biologiste de tout premier plan (plus précisément : chercheur en biophysique moléculaire).
Avec Bruno, on a ce genre de propos, p.219 : "J'avais le sentiment qu'on m'avait volé ma jeunesse. Tout ce que je voulais, c'était me faire sucer la queue par de jeunes garces aux lèvres pulpeuses dans les discothèques, et pendant l'absence d'Anne je suis allé plusieurs fois au Slow Rock et à l'Enfer ; mais elles sortaient avec d'autres que moi, elles suçaient d'autres queues que la mienne ; et ça, je n'arrivais simplement plus à le supporter. C'était la période de l'explosion du Minitel rose, il y avait toute une frénésie autour de ça, je suis resté connecté des nuits entières."
Et avec Michel, cet autre plus détaché, p.221 : "Pouvait-on considérer Bruno comme un individu ? Le pourrissement de ses organes lui appartenait, c'est à titre individuel qu'il connaîtrait le déclin physique et la mort. D'un autre côté sa vision hédoniste de la vie, les champs de force qui structuraient sa conscience et ses désirs appartenaient à l'ensemble de sa génération. De même que l'installation d'une préparation expérimentale et le choix d'un ou plusieurs observables permettent d'assigner à un système atomique un comportement donné - tantôt corpusculaires, tantôt ondulatoire -, de même Bruno pouvait apparaître comme un individu, mais d'un autre point de vue il n'était que l'élément passif du déploiement d'un mouvement historique. Ses motivations, ses valeurs, ses désirs : rien de tout cela ne le distinguait, si peu que ce soit, de ses contemporains."
Sinon, j'ai pris la vitesse de croisière du livre et je le lis sans difficulté, avec un intérêt relativement soutenu, parsemé d'accès de dégoût. J'en suis maintenant p. 260. Les trente-quarante dernières pages lues étaient tristement crues, glauques, de plus en plus glauques... jusqu'à un (j'imagine, prétendu) reportage de Paris-Match sur les sectes (dites) "sataniques" des hippies ou beatniks californiens et leurs pratiques horribles ou infâmes mêlant Éros et Thanatos. Et là (chap. 15), on atteint le glauque absolu. J'ai eu besoin de m'arrêter... mais je suis décidé à lire le bouquin jusqu'au bout, à prendre connaissance de la totalité de son contenu. Il est sorti en 1998 et donc déjà à cette époque (qui nous renvoie à la première présidence Chirac), les éditeurs parisiens n'étaient pas particulièrement bégueules sur l'information qu'ils contribuaient à répandre, ni soucieux de l'ordre moral ou de ne pas "donner de mauvaises idées" à leurs lecteurs, du moins quand ils avaient la conviction que le livre allait faire un succès de librairie et leur rapporter des sous.


Le chap. 16 (des "Moments étranges, la 2ème partie du roman), toujours consacré à la relation Bruno-Christiane, est quand même plus calme, quoique... Voici une citation (sagement choisie) pour donner un peu l'esprit du chapitre :
"Tu as une vision de la vie très sombre..." dit Christiane |...| "Je sais ce qu'il faut faire |...| On va aller partouzer au Cap d'Agde, dans le secteur naturiste. Il y a des infirmières hollandaises, des fonctionnaires allemands, tous très corrects, bourgeois, genre pays nordiques ou Benelux. Pourquoi pas partouzer avec des policiers luxembourgeois ?" |...| Ils arrivèrent en gare d'Agde le lundi matin, prirent un taxi pour le secteur naturiste. |...| On était déjà en septembre, ils trouvèrent facilement une location. Le complexe naturiste du Cap d'Agde, divisé en cinq résidences construites dans les années 70 et le début des années 80, offre une capacité hôtelière totale de dix mille lits, ce qui est un record mondial."
Le couple découvre ensuite les "activités" du complexe sur onze pages assez documentées et que je ne déflorerai pas. Suite à quoi, "Bruno écrivit une lettre courte et émue à Michel. Il s'y déclarait heureux, |...|."


Total changement de ton et de propos quand Houellebecq met en scène Michel, le chercheur en biophysique moléculaire (chap. 17). Là aussi, il faut s'accrocher, mais d'une autre façon. Je cite : "Selon l'hypothèse de Margenau, on pouvait assimiler la conscience individuelle à un champ de probabilités dans un espace de Fock, défini comme somme directe d'espaces de Hilbert. Cet espace pouvait en principe être construit à partir des événements électroniques élémentaires survenant au niveau des micro-sites synaptiques. Le comportement normal était dès lors assimilable à une déformation élastique de champ, l'acte libre à une déchirure : mais dans quelle topologie ? Il n'était nullement évident que la topologie naturelle des espaces hilbertiens permette de rendre compte de l'apparition de l'acte libre ;" etc.
Arrivé à ce niveau du roman, on voit Michel qui désespère de pouvoir répondre à cette question : pourquoi et comment la conscience individuelle est-elle brusquement apparue au milieu des lignées animales?
Car "Le nouveau ne se produit jamais par simple interpolation de l'ancien ; les informations s'ajoutaient aux informations comme des poignées de sable, prédéfinies dans leur nature par le cadre conceptuel délimitant le champ des expériences ; aujourd'hui plus que jamais ils (Michel et autres chercheurs en biophysique moléculaire) avaient besoin d'un angle neuf."
Je me suis arrêté là pour l'instant (P. 280).


Et me voici p. 357, à moins de quarante pages de la fin. J'ai désormais bien pris le rythme du livre et j'aurais pu le finir dans la foulée ce dimanche, mais non, j'ai préféré me réserver une dernière séance de lecture avec lui, histoire de m'accorder un nouveau temps de réflexion sur ce qu'il nous dit, preuve que je me suis mis à plutôt bien aimer ce roman. Je vais d'ailleurs rehausser sa note avant même de l'avoir terminé. Les 75 pages lues hier soir et ce matin sont, dans l'ensemble, non plus franchement glauques, mais tristes, dans le ton comme dans les péripéties... avec ça et là quelques saillies (ce n'est peut-être pas un hasard si le mot me vient à l'esprit) d'humour noir assez drôles.
La IIIème partie du livre est, au contraire de la IIème, plutôt consacrée à Michel, le chercheur en biologie, à sa vie professionnelle mais aussi sentimentale. Il retrouve un amour de jeunesse, Annabelle et ils remettent le couvert, etc. Vous verrez comment les choses tournent, à supposer que mon texte vous donne envie de lire le roman.
Ça n'est pas un livre facile, mais je pense maintenant qu'il vaut le coup. Son propos est assez large, riche, varié ; assez courageux aussi et même intrépide parfois.
Je n'en dis pas plus pour aujourd'hui, puisqu'il me reste encore quelques dizaines de pages à lire.


Voilà, j'ai achevé ma lecture. Les personnages du roman connaissent des fins assez sombres. Et puis... il y a un épilogue (de onze pages) et ce roman assez réaliste, qui jusque là tenait presque du reportage parfois, bascule dans la science-fiction, la fausse biographie d'un biologiste de tout premier plan auquel on pensait sérieusement, au moment de sa disparition, pour le prix Nobel, mais dont la véritable importance n'apparaît qu'un peu plus tard.


Les travaux de Michel provoquent en effet une "onde de choc énorme dans la communauté scientifique", puisque débouchant sur une proposition radicale : l'humanité doit disparaître, après avoir donné naissance à une nouvelle espèce, asexuée et immortelle, ayant dépassé l'individualité, la séparation et le devenir.
Les premiers crédits pour la mise en application de cette proposition sont votés par l'Unesco en 2021. La création du premier être de cette nouvelle espèce créée par l'homme "à son image et à sa ressemblance" a lieu le 27 mars 2029, vingt ans jour pour jour après la disparition de Michel Djerzinski. Et cinquante ans plus tard, il ne subsiste plus que quelques humains de l'ancienne race. "Ayant rompu le lien filial qui nous rattachait à l'humanité, nous vivons, heureux ; il est vrai que nous avons su dépasser les puissances, insurmontables pour les humains de l'ancienne race, de l'égoïsme, de la cruauté et de la colère".


Comme on le voit, les quarante dernières pages des Particules élémentaires ne sont dénuées ni d'amertume, ni d'humour, ni d'une certaine grandeur.
Ainsi s'achève mon "journal de bord d'une lecture". Ce roman a été pour moi l'occasion d'une première prise de connaissance des écrits de Michel Houellebecq. Je ne regrette pas le temps que je lui ai consacré. Et je poursuivrai certainement la découverte de son univers romanesque.

Fleming
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le 1 sept. 2019

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