C’est un travail titanesque auquel s’astreint Almudena Grandes depuis dix ans et la parution d’Inés et la joie, premier tome d’une série intitulée Épisodes d’une guerre interminable, qui au final devrait comporter 6 volumes. Le cinquième vient de paraître en Espagne alors qu’en France Lattès a enfin publié le précédent, Les patients du docteur Garcia. Cette guerre interminable, les lecteurs d’Almudena Grandes savent bien qu’il s’agit de celle d’Espagne, qui a continué longtemps après sa fin officielle, jusqu’à la mort de Franco, en 1975. Les patients du docteur Garcia est sans l’ombre d’un doute le livre le plus dense de la série, nous catapultant de Madrid à différentes périodes, à l’Argentine de Peron, à un camp estonien pendant la seconde guerre mondiale, au Massachusetts, à Berlin à l’arrivée de l’armée rouge, etc. Une multitude de lieux pour une kyrielle de protagonistes, et c’est là où Almudena Grandes est très forte, en mélangeant personnages fictifs et historiques, comme la « célèbre » Clara Stauffer, une hispano-allemande, phalangiste et nazie à la fois, qui fut un rouage essentiel du transit des anciens nazis par l’Espagne avant de faciliter leur exfiltration vers l’Amérique du Sud et en particulier l’Argentine. A partir de l’histoire dans cette « transhumance » honteuse, car réalisée au vu et au su des démocraties occidentales, la romancière a tissé sa toile arachnéenne, avec 3 personnages principaux, deux républicains et un fasciste, qui changent plusieurs fois de nom dès lors que la clandestinité devient leur quotidien. Trois « héros » dont Almudena Grandes nous conte la destinée en parallèle, aux côtés de celles de pas loin d’une centaine de « seconds rôles » dont la participation à l’une des différentes intrigues est parfois collatérale et éphémère. Se perd-on pour autant dans ce maelström d’événements et d’acteurs plus ou moins importants des récits finement entrelacés ? Honnêtement, cela arrive, mais une liste en fin d’ouvrage sert de boussole et le souffle narratif emporte tout sur son passage. L’intérêt documentaire et pédagogique des Patients du docteur Garcia est indéniable mais c’est aussi son intense respiration romanesque qui transporte et émeut tout au long des presque 700 pages du livre. Et, bien entendu, le lecteur aficionado en redemande. Il n’y a désormais plus qu’à atteindre La traduction française de La madre de Frankenstein, le 5ème opus de la série.