Beaucoup de choses étranges dans cette tragédie écrite aux alentours de 410 BC. En termes de chronologie, elle est antérieure à "Œdipe à Colone" mais postérieure à "Antigone" de Sophocle.
Alors que Eschyle et Sophocle avaient, chacun, développé une trilogie pour décrire l'histoire des Labdacides, Euripide se contente d'une seule pièce qui situe l'action au niveau des "Sept contre Thèbes" d'Eschyle. Du coup, la tragédie interroge ou se tourne vers le passé de la ville de Thèbes ou d'Œdipe et de leur avenir.
En effet, Euripide modifie significativement la vision de la légende.
A la suite de la découverte du parricide et de l'inceste d'Œdipe, ce dernier s'aveugle et est enfermé dans le palais de Thèbes par ordre de ses fils qui prennent le pouvoir. Jocaste ne s'est pas tuée à ce moment-là. Antigone et sa sœur sont des jeunes filles, voire même des enfants. La pièce démarre avec Thèbes assiégée par les armées argiennes menées par Polynice et se termine avec le départ en exil d'Œdipe conduit par Antigone. Au final, on arrive, heureusement, à peu près aux mêmes conclusions.
Comme dans les "Sept", la pièce s'articule autour de la guerre de Thèbes contre les envahisseurs argiens. L'intérêt de la présence de Jocaste réside principalement dans son action pour obtenir une trêve afin d'organiser une tentative de réconciliation de ses deux fils Etéocle et Polynice. La rencontre tournera court mais la scène est un point clé de la pièce.
On comprend bien l'intention d'Euripide qui, ne faisant qu'une seule pièce, se devait d'y réunir tous les personnages importants du drame dans le laps de temps "réduit" de la guerre.
À l'époque de l'écriture de la pièce, se déroulait la guerre entre Athènes et Sparte où un athénien, Alcibiade, s'était réfugié et comptait profiter de la guerre pour reprendre un pouvoir à Athènes dont il avait été exclu. Les contemporains de la pièce y voyaient donc une analogie évidente avec le personnage de Polynice.
Comme dans les "Sept", Euripide décrit par le menu les sept chefs argiens placés aux sept portes. Mais le procédé diffère. Dans les "Sept", il s'agissait pour Étéocle de rassurer la population des femmes inquiètes (le Chœur). Ici, c'est un serviteur qui mène Antigone sur une tour et explique les dispositifs de défense de la ville. L'esprit y est totalement différent. Alors que chez Eschyle la ville de Thèbes est dans son bon droit de se défendre contre le félon Polynice, ici, la ville tremble car sait qu'Étéocle a usurpé le pouvoir au détriment de Polynice qui a le droit pour lui. Et le Chœur constitué de femmes de Tyr (en Phénicie), de passage à Thèbes (avant de rejoindre le sanctuaire de Delphes) et donc témoin "impartial" des évènements rappelle l'origine phénicienne de la ville de Thèbes et surtout un passé très trouble entre les fondateurs de la ville, la Sphinx et les Labdacides.
Un point qui me surprend beaucoup et que je ne m'explique pas vraiment. Le bon vieux devin Tiresias est appelé par Créon et, se faisant l'intermédiaire des dieux, exige le sacrifice d'un des fils de Créon Ménécée pour sauver Thèbes. Qu'Euripide nous refasse le coup d'Iphigénie, pourquoi pas. Non, ce qui m'étonne c'est que l'exigence des dieux s'exerce sur le fils de Créon, Ménécée, qui n'est pas un Labdacide mais le frère de Jocaste. Il m'eût semblé plus judicieux ou logique que l'exigence frappe un enfant d'Œdipe pour être bien cohérent avec la malédiction. Pas les deux fils dont le sort était déjà bien scellé. Mais une de ses deux filles Ismène ou Antigone. Pas Antigone car il faut bien qu'elle serve Œdipe dans sa future errance. Il restait donc Ismène (dont Euripide ne parle pas).
Au final, la pièce d'Euripide présente l'intérêt de revisiter la légende en réexaminant les personnages sous une autre facette. Mais face à la force des tragédies d'Eschyle et de Sophocle, elle laisse apparaitre des personnages moins intenses, peut-être à cause d'un poids des oracles (et donc des dieux) beaucoup plus imposant.