L'autobiographie déguisée et l'essai sociologique

Étretat, ville balnéaire sans histoire ? Pas pour Benoît Duteurtre, qui lui consacre un « roman » sur ce thème. À la fois texte autobiographique et essai sociologique, Les Pieds dans l'eau est le résultat d'une démarche intéressante. Mais.

Tout d'abord, l'écrivain raconte des souvenirs de ses vacances à Étretat, quand il ne vit pas au Havre : l'action est quasiment inexistante, centrée autour d'anecdotes, mais l'écriture est charmeuse, sensitive et contemplative.

Ce qui retient l'attention, c'est sa famille : arrière-petit-fils de René Coty, dernier président de la IVe République, Benoît, en grandissant, devient un adolescent soixante huitard. En vieillissant, il devient un homme antipathique, nostalgique de ses ancêtres bourgeois. Le Benoît adulte aime l'apanage du luxe, l'élégance des riches, l'art et les distractions élitistes.

Sauf que l'autobiographie a ses limites : même s'il emporte le lecteur dans les sensations, Benoît Duteurtre s'est contenté d'écrire sa vie. L'exercice est ardu, mais l'on peut s'interroger : où commence l'imagination ? A-t-on envie de lire la vie (presque) banale d'autrui ? Jusqu'à quel point l'écrivain est-il sincère avec lui-même et avec son lecteur ?

« Ce qui m'a le plus frappé au cours de ces années de lecture, écrivait Robert Gallimard en 1978, c'est qu'on voit très vite si un auteur, même totalement inconnu, appartient déjà, par vocation en quelque sorte, à la corporation des écrivains. [...] L'"amateur" est majoritairement autobiographe. [...] La plupart des manuscrits sont refusés parce qu'ils ne sont pas "écrits", le maniement élémentaire de la langue leur faisant défaut et, plus encore, ce rapport savant à la langue, indissociable du travail d'écriture. [...] Mais "bien écrire" ne suffit évidemment pas pour être publié, encore faut-il avoir un "ton", manifester une "originalité", bref, avoir un style qui, prisonnier d'influences diverses, peut ne pas être abouti, mais qu'un lecteur averti percevra1. »

Outre l'autobiographie, discutable en soi, Benoît Duteurtre s'est livré à quelques digressions sur l'histoire et la population d'Étretat. Tout ce qui compose une ville balnéaire, somme toute assez banale, y passe : les riches Parisiens venus parader bien à l'écart des autochtones, la nage, la bronzette, les galets, les cabines de plage...

Outre certaines considérations peu intéressantes, d'autres retiennent davantage l'attention : qui vient à Étretat ? Comment se comporte sa population, au fil du temps ? Il consacre une partie importante aux comportements de la classe bourgeoise, laquelle préserve sa domination par les alliances et le patrimoine. À travers le prisme d'une ville, Benoît Duteurtre développe l'histoire d'un pays, sujet au consumérisme et aux évolutions politiques et sociales.

Les Pieds dans l'eau, c'est un peu comme Les Années d'Annie Ernaux : entre le récit personnel et l'histoire d'un pays pleine de généralités, forcément, tout lecteur se sent impliqué. Forcément, tout est un peu bateau.

Ce « roman » de nature hybride laisse une impression particulière : la construction est pertinente, divisée en courts chapitres alternant le petit œil du Benoît bourgeois avec celui du grand œil d'une ville et d'un pays. Mais si le récit est autobiographique, pourquoi déguiser le tout en « roman » ? L'appellation est malhonnête.

La critique sur mon blog :
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le 1 juin 2012

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