Critique garantie sans spoil.


Dans les romans historiques, j'aime par dessus tout être immergé dans une époque ancienne et vivre parmi les personnages les plus illustres du passé, une sensation grisante pour tous les amateurs d'histoire. Ceux-la même dont l'imagination débordante les conduit naturellement à la littérature lorsque les essais scientifiques ne suffisent plus à comprendre, à saisir ou à s'imprégner du passé. Les romans historiques, et quelque soit le degré de sérieux de ces derniers, répondent au nouveau dogme moderne : "apprendre en s'amusant". Aucun jugement arrogant de ma part car j'y souscrit royalement dans ce cas bien précis. Je suis d'ailleurs un grand amateur de Jean d'Aillon, un écrivain français de roman historique, qui a aussi travaillé sur la période médiévale avec notamment sa saga sur Guilhem d'Ussel. De fait, le parallèle entre les deux auteurs s'est opéré. Résultat, pour moi Jean d'Aillon est supérieur sur plusieurs points mais j'y reviendrai.


Les Piliers de la Terre est mon tout premier roman de Ken Follett. Avec cet ouvrage, considéré par beaucoup de lecteurs comme le meilleur roman historique, je découvre ainsi l'écriture de ce célèbre auteur anglais ainsi que son livre le plus apprécié de son oeuvre même si, paradoxalement, il n'est pas représentatif de cette dernière. Pour faciliter l'expression de mon point de vue, je vais ranger soigneusement mes remarques par thème. C'est parti !


L'écriture


Comme je vous le disais, c'est mon premier livre de Ken Follett écrit en 1989, il y a maintenant 27 ans. Nul doute que l'auteur a fait évoluer son style depuis. Donc inutile de prendre ces remarques comme fermes, arrêtées et définitives mais si je devais me cantonner à cet ouvrage, je dirais plusieurs choses : il a une écriture limpide, d'une (trop) grande simplicité corroborant avec l'idée qu'il s'agit bien là d'un roman de gare, dynamique (notamment en fin de chapitre) et parfois rébarbative sur certains aspects. Je m'explique. L'écriture limpide, c'est une évidence. Tout le monde s'en rend compte, Les Piliers de la Terre malgré les 1050 pages que comportent l'ouvrage chez l'édition "Le livre de poche" se lit à une vitesse ahurissante. Ceci est dû à son écriture mais surtout à la force de son scénario très bien construit. La simplicité de sa plume est appréciable lorsqu'on est dans une logique de pur divertissement. En revanche, on peut s'attrister de l'indigence du vocabulaire faisant fi du contexte historique ou de la construction syntaxique en phrases courtes. Nous sommes bien en possession d'un ouvrage écrit par un anglais. Je vais m'attirer les foudres mais un livre contemporain anglo-saxon traduit en français, ça se sent à dix kilomètres ! Heureusement l'auteur sait parfaitement tenir son lecteur en haleine grâce à un chapitrage habile et bien proportionné mais aussi grâce à une écriture dynamique distillant le mystère et le suspense en fin de chapitre. C'est remarquable, rien à dire. Enfin, le plus gros reproche que je pourrais adresser à l'écrivain, c'est de prendre son lecteur pour un con. Clairement, Ken Follett ne laisse aucune possibilité au lecteur de se faire sa propre opinion de tel ou tel personnage, de telle ou telle situation, il n'y a aucun libre arbitre ni perspective de réflexion. Et cet état de fait passe par une plume rébarbative qui vous explique, et vous réexplique encore et encore, certaines expériences vécues par les personnages. Le narrateur omniscient (qui n'est autre que Ken Follett lui-même) est un dictateur de l'opinion et des sentiments qui vous prémâche la nourriture avant de vous la faire avaler. Il n'y a rien à faire. Juste à ouvrir le bec et dire merci...


L'histoire


Très rapidement, sans rentrer dans le détail. Nous sommes en Angleterre au XIIe siècle, Tom, un maçon rêve de bâtir une cathédrale. Pour se faire, il parcourt les routes du royaume à la recherche d'un chantier qui pourrait l'embaucher en tant que bâtisseur. Tom et sa famille vont, par un hasard dont seule la vie à la secret, rencontrer le prieur de Kingsbridge Philip, un homme bon, ambitieux et brillant qui se propose de les aider. Les aventures de Tom débutent réellement avec la construction de l'édifice et se poursuivent jusqu'à la génération suivante, nous sommes entre les années 1120 et 1170 (en gros).
La première chose qui me vient à l'esprit, c'est la maîtrise impeccable des rouages scénaristiques de Ken Follett ainsi que sa gestion du suspense particulièrement habile. Il faut bien comprendre que le scénario principal se divise en une ramification de plusieurs histoires qui correspondent aux différents protagonistes : Tom le bâtisseur et sa famille ; Aliéna et Richard héritiers du comté de Shiring ; William Hamleigh et sa famille ; le prieur Philip et les moines de Kingsbridge ; l'évêque Waleran Bigod et, dans une certaine mesure, le roi Stephen. Bon, beaucoup de personnages dans un premier temps isolés les uns des autres, du moins dont les relations directes ne sont pas établies par le lecteur puis, qui vont finalement se retrouver mêlés dans diverses intrigues correspondant bien souvent à la défense de leurs intérêts propres. Exemple : Tom veut travailler sur un chantier pour nourrir sa famille, Philip veut une cathédrale et administrer son prieuré, Waleran veut devenir influent et grimper les échelons, William souhaite être comte, Aliéna cherche à réhabiliter l'honneur de sa famille etc. Évidemment, et pour notre plus grand plaisir, les conflits d'intérêts entre tout ce petit monde sont nombreux et l'ensemble sera finalement imbriqué dans un tout scénarisé à la perfection par Ken Follett, il faut bien l'avouer.


Le contexte


Fidèle au code du genre, l'écrivain gallois insère son scénario dans un contexte historique réel et fait évoluer ses personnages fictifs ou réels dans un climat politique propre à l'Angleterre du XIIe siècle : la guerre civile entre le roi Stephen (Étienne de Blois) et l'héritière légitime Maud (Mathilde l'Emperesse) pour la succession d'Henri Ier mort en 1135. La fiction rejoint l'histoire, le tout dans un ensemble cohérent et plutôt bien amené. En revanche, j'ai été beaucoup moins convaincu par l'univers médiéval très édulcoré et manichéen de Ken Follett. C'est très clairement sur cet aspect que je préfère Jean d'Aillon, à mon sens plus documenté et plus nuancé sur cette période de notre histoire. Ken Follett fait du moyen-âge sauce holywoodienne. D'ailleurs, en parlant de cinéma, Les Piliers de la Terre est un ouvrage parfaitement calibré pour le grand écran. Prenez-le comme vous le voulez mais pour moi ceci n'est pas forcément un gage de qualité. Il y a un côté manichéen insupportable doublé d'une superficialité dans la psychologie des personnages chez Ken Follett qui sont propres aux films d'actions d'aujourd'hui. En gros, pas besoin de le lire deux fois (sauf si vous avez beaucoup apprécié) mais il n'est pas nécessaire d'y revenir pour approfondir sa compréhension de l'oeuvre : pas d'interprétation complexe des événements, pas de métaphysique dans un roman qui parle pourtant constamment du rapport des hommes avec Dieu, pas de réflexion intéressante induite par l'action ou le comportement des protagonistes. Dommage. Enfin, je suis très surpris des raccourcis scénaristiques pris par l'auteur pour nous faire croire qu'il est possible de bâtir une cathédrale entière en moins de quarante ans, ce qui est à l'évidence une aberration totale.


Les personnages


Les personnages sont attachants, sympathiques voire détestables (pour les vilains) mais tous sont creux comme des coquilles. De la même manière qu'un film d'action américain, le livre s'apparente à une succession d'événements, de rebondissements interagissant parfaitement entre eux dans lesquels les méchants sont punis et les gentils sont heureux après avoir été tristes. Je schématise grossièrement, ne m'en veuillez pas. Les méchants sont vraiment méchants, au point que ça frise le ridicule à certains moments, et les gentils sont très, très gentils. Cette règle fonctionne pour l'ensemble des personnages à trois exceptions près : Alfred, le fils de Tom ; Jack (personnage intéressant au début puis Follett le range parmi les personnages ennuyeux et prévisibles) ; Richard (on se demande vraiment si le fait qu'il soit si ambivalent est voulu ou non par l'auteur). Les personnages sont creux, prévisibles sur de nombreux aspects certes, mais il est appréciable de les accompagner sur quasiment l'ensemble de leur vie. L'approche générationnelle est intéressante et plutôt bien traitée. Ceci permet au lecteur de s'attacher à eux évidemment, de les voir évoluer et grandir au grès des péripéties ou des expériences bonnes ou mauvaises. Oui, il y a une évolution psychologiques des principaux protagonistes mais le traitement reste, à mon sens, assez superficiel. Aliéna à quinze ans est la même qu'à cinquante ans malgré toutes les mésaventures subies. Autre point important sans rapport direct avec ce qui a été dit précédemment, mais l'auteur semble avoir des problèmes avec le sexe. Pourquoi ? Premièrement, il en met partout. Visiblement il a l'air de prendre son pied à nous foutre des scènes de cul à chier tous les trois chapitres. En sachant que, trois scènes de cul sur quatre sont des viols. Bon, va falloir arrêter un peu avec les raccourcis faciles de : "le moillénage yavé ke dl'a violance et les fames été violé tou le temp kar pas dégalité entre lait sex, cété une époke barbar". Je suis intimement persuadé que les femmes subissent d'avantage ce crime odieux aujourd'hui qu'à l'époque. Après les scènes érotiques ne sont pas trop mal écrites. C'est déjà ça... Sans transition.


Et Dieu ?


L'auteur présente le christianisme à travers deux grandes thématiques qui vont s'opposer, sans trop de nuance : l'amour (la morale) puis la corruption (l'immoralité). Ces valeurs vont être maladroitement condensées dans deux personnages distincts qui sont respectivement le prieur Philip et l'évêque Waleran. C'est extrêmement binaire mais à l'avantage de présenter la religion chrétienne de manière faussement objective. Pourquoi faussement ? Car si l'on peut effectivement avoir l'impression que la religion tient une place primordiale dans ce roman notamment par le prisme du personnage très important qu'est Philip, il est à noter que tous les personnages principaux croient à peine en Dieu, ou à des degrés divers (pour ne pas dire insuffisant) : Aliéna, Tom, Ellen, Richard et bien sûr Jack. Un peu comme si finalement, le christianisme au XIIe siècle était accessoire et qu'il était une opinion spirituelle privée comme une autre (un peu comme aujourd'hui si vous préférez). Or, le lecteur s'identifie aux personnages principaux. Par effet miroir, nous avons là une maladresse pour ne pas dire une manipulation idéologique propre à notre siècle nihiliste. Une société régie par les lois de Dieu est forcément naïve et, par un heureux hasard, Philip, fervent croyant et pratiquant (normal, il est le prieur de Kingsbridge et dirige une centaine de moines) est un personnage profondément naïf malgré son ambition et sa conduite de projet exemplaire. Cette naïveté va d'ailleurs lui attirer de nombreux ennuis, mais je vous laisse le soin de le découvrir par vous-même. A contrario, Jack le "presque athée" est un homme de sciences, qui aime les mathématiques, la géométrie, la réflexion philosophique, il est le personnage idéal pour faire passer le christianisme pour une superstition risible et rétrograde. Et Ken Follett ne se prive pas de le faire. Je passe sur le personnage de Waleran qui est une balance à peu près équilibrée des actions de Philip, autrement dit, c'est un sacré enc*** ! L'écrivain dévoile une fois de plus sa vision très manichéenne du monde doublé d'un mépris très diffus du christianisme caractéristique de l'orgueil athéiste contemporain.


Malgré mes reproches, Les Piliers de la Terre demeure un très bon roman de gare. Avant de m'y atteler, j'avais justement envie de me changer les idées, de lire sans trop réfléchir, bref de plonger dans un univers et vivre des aventures. Résultat ? La mission est amplement réussie. De là à affirmer qu'il s'agit du meilleur roman historique, je ne crois pas. Simple opinion personnelle. Je lui préfère les ouvrages de Jean d'Aillon, plus réalistes (sans être chiants) et moins cinématographiques (sans être chiants aussi). Vu les retours que j'ai pu glaner ça et là sur la suite des Piliers de la Terre, cela m'étonnerait beaucoup que je pousse la curiosité jusque là. Qui vivra verra. En attendant, chers lecteurs, je ne peux que vous recommander de lire les fabuleuses péripéties de Tom le bâtisseur et Philip le prieur. Car si le livre n'est pas dénué d'incohérences et de lourdeurs fâcheuses, il est indéniable de constater que Follett maîtrise de manière exemplaire le déroulement de son histoire sur plus d'un millier de pages riches en émotions.

Créée

le 13 mars 2017

Critique lue 2.1K fois

6 j'aime

silaxe

Écrit par

Critique lue 2.1K fois

6

D'autres avis sur Les Piliers de la Terre

Les Piliers de la Terre
Hypérion
8

La féodalité au temps des cathédrales...

"Les Piliers de la Terre", c'est l'ultime représentant de la littérature de gare dans la division roman historique, à ceci près que le livre dépasse allègrement les 1000 pages (idéal pour un périple...

le 1 déc. 2011

44 j'aime

5

Les Piliers de la Terre
Vincent-Ruozzi
9

Au nom de la pierre

Les Piliers de la Terre est une œuvre gargantuesque de plus de 1000 pages, immergeant le lecteur en plein Moyen Âge, dans une Angleterre en proie à de terribles querelles intestines. Son auteur, Ken...

le 8 oct. 2018

33 j'aime

5

Les Piliers de la Terre
pyrame
10

Une fresque historique enthousiasmante

Ce livre, je l'ai vu et revu dans les mains des "métronautes", dans les têtes de gondole de librairie, sur les sites internet... Je me suis enfin décidé à lire ce qui est annoncé partout comme un...

le 18 mai 2010

27 j'aime

2

Du même critique

Fondation - Le Cycle de Fondation, tome 1
silaxe
5

Il était une fois dans une lointaine galaxie...la déception.

Je vais probablement fâcher beaucoup d'entre vous mais personnellement je n'ai pris aucun plaisir à la lecture de ce premier tome du célèbre cycle d'Asimov. N'étant pas un lecteur adepte de...

le 19 juil. 2015

20 j'aime

7

La Domination masculine
silaxe
8

À lire et à relire !

Il faut dire qu'on fait difficilement plus efficace, plus fort et plus clair que l'écriture de Pierre Bourdieu. Un professeur de sociologie absolument brillant qui s'attaque ici à un sujet difficile...

le 17 janv. 2015

19 j'aime

7