- Suspecté "d'activité contre-révolutionnaire", Mandelstam part en 1930 pour l'Arménie, où il écrit son Voyage en Arménie. Il revient à la poésie après une période de cinq années consacrée à la prose.
Le loup
"Pour les siècles futurs et leur gloire de feu,
Pour cette insigne tribu humaine,
On a ôté ma coupe au festin des aïeux,
Volé ma joie et mon honneur même.
C'est le siècle chien-loup qui sur moi s'est jeté,
Mais pas de sang de loup dans mes veines...
Enfouis-moi bien plutôt dans la manche fourrée,
Si chaude, des steppes sibériennes.
Pour ne pas voir les lâches, ni le chemin fangeux,
Ni la roue où sang et os se mêlent ;
Pour que toute la nuit brillent les renards bleus,
Tels qu'en leur beauté originelle.
Mène-moi où L'Ienisseï coule dans la nuit,
Où les grands pins touchent les étoiles,
Parce que par le sang aucun loup je ne suis
Et seul pourra me tuer mon égal."
(17-28 mars 1931)
- À l'automne 1933, Ossip Mandelstam écrit "Le Montagnard du Kremlin" (charge transparente contre Staline) :
"Nous vivons sourds à la terre sous nos pieds,
À dix pas personne ne discerne nos paroles.
On entend seulement le montagnard du Kremlin,
Le bourreau et l'assassin de moujiks.
Ses doigts sont gras comme des vers,
Des mots de plomb tombent de ses lèvres.
Sa moustache de cafard nargue,
Et la peau de ses bottes luit.
Autour, une cohue de chefs aux cous de poulet,
Les sous-hommes zélés dont il joue.
Ils hennissent, miaulent, gémissent,
Lui seul tempête et désigne.
Comme des fers à cheval, il forge ses décrets,
Qu'il jette à la tête, à l'œil, à l'aine.
Chaque mise à mort est une fête,
Et vaste est l'appétit de l'Ossète."
Ce poème lui vaut une première arrestation en 1934.
Exilé à Tcherdyne, il tente de se suicider. Il est condamné à l'exil à Voronej jusqu’en 1937.