Blacklisté depuis des années par l’édition mainstream, Nabe sort une nouvelle fois un livre pour ses aficionados. Car Les Porcs est un investissement conséquent de lecture : 1001 pages, écrites en tout petit, pas de saut de chapitres... Ca vous bouffe 30-35 heures de votre attention, le tout sur la médiocrité du petit monde antisémito-complotiste de Paris... Tout mon objectif annuel de Zola y est passé, c’est dire si je suis indulgent avec le père MAN !
Petite présentation de l’auteur
Marc-Edouard Nabe était ce jeune écrivain prodige de la fin des années 80, sulfureux, dans la veine pamphlétaire en partie antisémite. Ecrivain honni, ce qu’il adore, mais désormais dans l’ensemble oublié, ce qu’il déteste. Toujours est-il qu’à l’époque, on l’a présenté comme le nouveau Céline. Pour plusieurs raisons (le style, les points de suspension...), mais en particulier pour la pincée d’antisémitisme qu’il s’amuse à saupoudrer sur tout ce qu’il écrit.
Qui sont les Porcs ?
Or dans les années 2000, l’antisémitisme, c’est Soral, c’est Dieudonné, etc., petit milieu antisémite que Nabe a bien fréquenté à l'époque. Et plus que fréquenté, il en a été, à l’écouter en tout cas, un inspirateur et un accompagnateur jusqu’à s’éloigner de ses compères alors qu’ils entraient dans leur phase conspi’. Les Porcs, c’est donc une charge contre eux, dans les années 2000: Soral, Dieudonné, et quelques autres figures mineures de cette bande pas très reluisante (Moix, Blanrue), ainsi que des victimes collatérales n’ayant rien à voir avec tout ça, mais qui ont eu le tort de fréquenter Nabe à cette époque. Charge d'abord tournée vers la rhétorique complotiste, véritable cancer mental, mais aussi - ce serait pas drôle sinon - contre les personnes, leur caractère, leur physique... bref tous le coups sont permis.
Sur tout ce qui bouge
Car Nabe plus encore que d’habitude, tire sur tout ce qui bouge, même ceux qui ont pu être son ami. D’ailleurs lui-même écrit le mot ami entre guillemets !... Car plus qu’une analyse du parcours intellectuel de la scène antisémite française (ou une partie d’entre elle), Les Porcs est est surtout une extension du journal intime de Nabe. Mois par mois depuis 2001, on a le droit à tous les faits marquants germano-pratins / showbiz de Nabe; “Nabe chez Ardisson”, “Nabe chez Taddei”, “Nabe humilie son webmaster”, “Nabe et le mythomane Soral”, “Nabe explique la vie à Dieudonné” sont en substance les messages les plus récurrents des quelques centaines de courts chapitres qui constituent ce premier volume des Porcs.
Sentiment mitigé
Sentiment mitigé, car le bouquin en dit au moins aussi long sur Nabe, son narcissisme, ses raccourcis de pensée et ses obsessions que ses anciens compagnons copieusement insultés, généralement sans grande finesse (“sous-merde”, etc.). Comme Rousseau dans ses Confessions, chaque événement de sa vie est abordé pour se justifier, se dédouaner, et beaucoup plus rarement (enfin, rarement chez Rousseau, jamais chez Nabe) pour remettre en question son comportement passé. On voit surprend l’auteur guetter, dans la presse, dans les émission de télé, dans la littérature, toutes les références à lui-même pour s’en vanter, ou pour déplorer leur absence.
Nabe se rend-il compte de cela ? Se rend-il compte que s’il ne vend plus, ou qu’on ne lui tend plus les micros, ce n’est pas parce qu’il dérange encore mais parce que plus personne ne s’intéresse vraiment à ce qu’il a à dire ? Que si ses “amis” lui font “des coups de pute”, c’est aussi parce que lui - en tout cas à l’aune de l’échantillon qu’il nous donne pour preuve - ne se gêne pas pour leur cracher ton son fiel dans leur dos ? Nabe ressemble à Harry Potter, mais c’est un Serpentard dans l’âme. Nabe doit bien s’en rendre compte un peu car il avoue dans l’ouvrage ne pas connaître et comprendre le sentiment d’amitié... Aveu comme toujours à prendre avec la précaution nécessaire quand on connaît son goût pour la provocation, mais qui ressemble fort à un accès de lucidité. Le ton de L’Homme qui arreta d’écrire (livre écrit en parallèle des Porcs) semble aussi montrer qu’il sent bien qu’il devient has been et qu’il le prend à la lègère, mais c’est un Roman quand Les Porcs est un journal...
La quantité au détriment de la qualité
Mais si connaissant le personnage la dérive narcissique était largement prévisible - voire souhaitée par le lecteur !.. -, le déclin du style est plus décevant... Les seuls très belles pages du livre sont celles sur l’épisode de la révolte des ouvriers de Fourmies... écrites en 2007. De manière générale, que l’on est loin des fulgurances du Régal des Vermines, écrit à seulement 25 ans ! Même si ses vacheries font encore mouche et que le lire reste un exercice jouissif, l’on se demande parfois si Nabe n’aurait pas mieux fait d’arrêter la littérature précocément comme ses modèles Rimbaud et Lautréamont. Si Nabe ne vend plus, c’est aussi parce qu’il préfère désormais écrire des pages et pages sur sa vie mondaine que d’entretenir son style. Il aurait mieux fallu 300 très bonnes pages, que ces 1000 pages finalement peu travaillées. D'ailleurs, on aura la déception paradoxale de voir ce livre finir à la fois trop tard, car trop long, et trop tôt chronologiquement, avant que Soral finisse sa transformation en pur paria fou furieux. Ce sera parti remise pour les 50€ des Porcs 2.
Cela dit, on aura quand même le plaisir rare de le lire écrire du bien d’une autre personne que lui-même (!) ou que ses maîtres en littérature (tous morts bien sûr !), les Céline, Bloy & cie.: Jonathan Littell, et un Juif en plus... Comme quoi il aime encore surprendre, parfois.