Les Porcs 2 est la suite, parue en 2020, de la vaste entreprise de démontage pamphlétaire et post-moderne dans laquelle s'engage Nabe depuis une dizaine d'années contre l'ensemble des réactions politiques au nouvel ordre mondial post-2001 qu'il considère relever d'une mécanique de pensée conspirationniste.
Ce deuxième tome des Porcs peut sembler de prime abord assez proche du premier ; on y retrouve la propension habituelle de Nabe pour le jeu de mot un peu foireux – il y en a un assez fendard sur Salim Laïbi et Malevitch qui m'a fait bien rire, un peu comme le protocole des pas sages du fion du tome 1 –, la structuration en mémoires de l'ouvrage qui progresse par allers retours constant entre les événements publics et ce qu'ils provoquent sur la sphère « privée » de l'auteur et de ses fréquentations, et la saisie du temps comme des êtres par une espèce de « sur-réalisme » qui vient reprendre des gens et des rencontres en les littérarisant sous la plume de ce que Nabe veut leur faire signifier (il prétend, évidemment, que tout ce qu'il dit est vrai, et il faudrait discuter des conditions épistémiques du « vrai » en littérature car c'est un sujet passionnant, surtout sous la plume d'un mystique dérangé, mais le Dieudonné-bête ou le Soral-tapette que présente Nabe sont des êtres fondamentalement littéraires, peu importe le degré de proximité qu'ils entretiennent avec leurs modèles respectifs).
On peut tout de même remarquer une inflexion formelle du livre qui déclenche, naturellement, un changement pragmatique assez important. J'ignore, dans la génétique des Porcs, à quel point ces deux livres ont été conçus en même temps ou non, donc je ne peux pas affirmer qu'en diachronie l'analyse à suivre se tienne ; toutefois, il me paraît que les Porcs 1 constituait l'assassinat en règle d'une bande de clowns sur une chaîne d'abattoir – très amusant, mais un peu vain –, là où le tome 2 s'attaque bien davantage à leurs discours. Ce qui permet de le constater, c'est la place plus importante laissée dans ce livre à des interventions « extérieures » à la voix de Nabe – pour peu qu'on lui fasse confiance sur la fiabilité de certains de ces documents, je suis prêt à sauter le pas – : on retrouve entre les chapitres marqués par la subjectivité de l'auteur des citations abondantes de vidéo de ses opposants, des copies de leurs propos, des retranscriptions diverses, notamment de discussions orales supposées être reprises telles quelles d'enregistrements, des « ekphrasis » de vidéo etc. Nabe, puisqu'il le fréquentait moins, limite les anecdotes de café sur la veulerie qu'il prête à un Soral et s'intéressera beaucoup plus à critiquer le discours concret du personnage, en regard de ses propres analyses sur le terrorisme des années 2010 et en tout premier lieu sur l'affaire Merah dont il fait une sorte de 11 septembre à la française, signifiant, en anniversaire dix ans après.
Ce principe de collage / remontage, proche de ce que propose la littérature post-moderne – bien que Nabe serait probablement assez critique quant à ce rapprochement, il me semble l'avoir lu quelque part chier dessus, peut-être lorsqu'il parle de Dantec –, culmine à la fin de l'ouvrage alors qu'il consacre ses cent / cent vingt dernières pages à une livraison dramaturgique des échanges entre Merah coincé dans son appartement et les négociateurs de la DCRI et du Raid. J'apprécie beaucoup le geste littéraire tout en n'ayant pas du tout goûté l'exécution, je ne vois pas Nabe très à l'aise avec l'écriture de théâtre et elle suppose à mon avis une lâcheté dans l'approche des personnages et de leurs actes totalement absente du sur-contrôle qu'opère Nabe sur l'expérience littéraire qu'il propose.
L'intertextualité marquée, discutée, repoussée, parfois admise avec les Démons de Dosto' – qu'on sent à la lecture avant même qu'elle ne soit confirmée par la scène de la péniche – est nettement plus intéressante et permet à Nabe de développer, en creux, un discours intéressant sur les rapports entre le rendu de la vérité et l'inspiration de structures artificielles parce qu'artistiques.
Quand je lis du Nabe, ultimement, j'ai souvent envie de râler sur pas mal de détails de ci de là, mais c'est un gars qui s'engage à la fois dans une saisie critique importante de ce qu'il se passe aujourd'hui et qui sait le faire en remobilisant une sensibilité artistique de valeur qui lui est propre et qui me parle en tant que type lambda qui sort de sa carcasse quand il se cale devant un livre ou un tableau. La littérature c'est ça, l'art c'est ça, et au fond il n'y a pas à pinailler ça vaut le coup.