En 1979, Jean-Pierre Andrevon imagine un coin de France, le jour d'Après.
Les retombées, je ne le cache pas, c'est sa couverture de nuage radioactif sur fond gris qui m'a tout de suite intrigué, surtout avec la 4ème de couverture se réduisant à une seule ligne énigmatique, telle que je la livre également en ouverture.
La science-fiction à la française est moins répandue que sa cousine anglo-saxonne et c'est un tort au vu de la richesse du langage exploité par les écrivains de nos contrées, sans compter l'imagination assez folledingue que ces derniers emploient généralement. C'est bien connu, en France, on a pas les moyens, mais on a les idées, alors côté livres, on a de quoi être servi et on a de grands auteurs même si généralement on passe toujours à côté (l'effet "nul n'est prophète en son pays" qui marche très bien avec les cinéastes aussi).
Autant prévenir, Les retombées ne dépeindra pas un futur bourdonnant d'inventions fabuleuses et propre à mille rêveries de ce côté là. Non, ici, on est dans un futur pas si éloigné, voire un présent parallèle en ce sens que ce qui arrive dans le livre pourrait très bien arriver n'importe quand et c'est inquiétant. Et en cette époque de confinement au moment où je recopie cette chronique je ne peux qu'y repenser de plus en plus.
La nouvelle, courte et implacable, met en scène dès le début, 5 personnages d'âges et de sexes différents tous situés dans le même coin de campagne, qui, à divers distances, voient au loin l'éclair et le nuage avant d'être frappés par le fameux souffle brûlant. Des gens qui ne se connaissent pas et se retrouvent, perdus, haletant et tentent de lier connaissance malgré le choc de la situation. Par la suite, ils sont récupérés par l'armée et parqués comme bon nombre d'autres, dans un camp vite construit à la va-vite mais la situation ne s'arrange guère. Avec une écriture simple mais nette, Andrevon décrit les sensations et sentiments mêlés de François, le narrateur, jeune ingénieur d'une trentaine d'années, pris dans la tourmente. Ce qu'il ressent et voit chez les autres, ses pensées et peur d'être irradiée tout comme de la situation qu'il tente de rationaliser sans jamais y arriver (1).
Et Andrevon fait assez fort pour rester dans un sentiment de flou qui ne se relâchera pas du long. On ne montre pas les symptômes, on ne peux que les imaginer. Le narrateur lui-même n'inspecte pas son corps, au lecteur de se poser des questions hors-champs (le fait que des gardes rient en lisant son dossier n'augure pas forcément quelque chose de bon) ou d'imaginer des horreurs. De même, comme l'on est embarqué avec le personnage, on a une vision forcément restreinte des lieux et de ce qui se passe. On dit aux "rescapés" du camp que le président va faire une allocution, il y a des haut-parleurs mais finalement, on entend rien. Comme si même tout le pays lui-même était à la dérive. A un moment, on bute dans un corps au sol dans le brouillard, corps qu'on a même pas pris la peine d'enterrer. On imagine des tirs de fusils et un rappel douloureux de situations étant déjà arrivées dans les camps au cours de la seconde guerre mondiale, mais comme le héros, on ne peut que spéculer et la fin ouverte ne peut que nous laisser intrigués (2). Et c'est tout à l'honneur d'Andrevon puisque vu la teneur de ce court récit, on imaginait mal une fin heureuse, pas plus qu'une fin pessimiste qui n'aurait fait qu'entrer l'histoire dans une dimension glauque et sordide là où tout le reste est des plus sobres (3).
Bref, un récit à lire au plus vite (et j'aurais même envie d'écrie, à conseiller même dans les écoles et collèges).
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(1) Cela a été écrit en 1979. Bien avant la catastrophe de Tchernobyl et encore plus avant 2020 et le covid19. Et pourtant, toute ressemblance avec la situation actuelle n'est que purement fictionnelle. Enfin... En apparence.
(2) De quoi décontenancer le lecteur. Pour ma part avec le recul cette fin ouverte et aussi brève que toute l'histoire ne participe que d'autant plus au choc occasionné je trouve. Surtout là encore en cette situation actuelle où la résonance n'en est que plus forte.
(3) En bonus, quelques pages qui ont le mérite d'évoquer l'auteur ainsi que le contexte d'écriture de la nouvelle, dates historiques liées à la bombe atomique en main (et ce n'est pas plus rassurant pour notre époque actuelle) avec aussi quelques films et ouvrages à voir et lire.