On dit assez souvent (trop souvent) en parlant de livres ou d'auteurs qu'ils nous font rêver, voyager.
C'est une image, évidemment, un peu creuse, mais surtout tellement galvaudée qu'elle a perdu sa force évocatrice, épuisée par l'usage excessif que les critiques en mal d'inspiration en font (moi le premier, soit dit en passant, mea maxima culpa).

Mais réellement, combien de fois en une vie tombe-t-on sur un livre qui réussit à nous faire ressentir le vertige d'un rêve tellement intense qu'il se dérobe à la conscience, laissant une sensation évanescente dont l'absence à venir est déjà douloureuse, un fragment de mémoire dans lequel se reflète ce qui, le temps d'une nuit (quelques secondes selon certains spécialistes, mais qu'est ce que ça change, en fait ?), était un monde, une vie, dont la force évocatrice déborde de loin les frontières de la réalité ?
Un livre assez grand, assez fort pour que le réel se fissure et laisse place à la magie qui se dissimule sous sa surface ?

Pullman réussit ici ce tour de force, avec finesse, intelligence, il nous emmène au sens strict à la croisée des mondes, ce point de rupture, ce lieu étrange que l'on n'a que trop peu souvent l'occasion de traverser.



Si le premier volume m'a d'abord simplement intrigué, c'est avec les larmes aux yeux que j'en ai fini la lecture, consultant frénétiquement les horaires de trains, encore sous le choc, pour en trouver un qui m'emmenait en ville suffisamment tôt pour que je puisse encore acheter le second volume, ainsi que le troisième dans la foulée.

Par le biais d'un jeu de miroirs envoûtant, l'auteur, à travers une histoire épique, tisse une trame qui dépasse les enjeux habituels de la fiction, embrassant le mythe, le fantastique, la face obscure de la science, la magie, la philosophie, la religion, tout en centrant l'histoire autour d'une jeune fille, nous donnant accès à cet univers complexe à travers son regard éveillé et dynamique, encore sensible au merveilleux et déjà à même de saisir la richesse et les différentes facettes des choses.
Il émane des personnage une force brute, un charisme que seuls de rares auteurs sont capable de rendre aussi palpable, à plus forte raison dans ce genre.
Quel genre d'ailleurs, car si l'histoire s'apparente au conte fantastique, et qu'on trouvera ce livre aussi bien dans le rayon "littérature pour jeunesse" que "SF" ou "littérature étrangère" (souvent dans les trois), ce roman transcende les étiquettes pour revenir à l'essence de ce qu'est une histoire, c'est à dire un voyage, un rêve, une élévation de l'âme.

S'il devait y avoir un défaut, les quelques problèmes de rythme du premier volume, qu'on oublie assez vite lorsque l'on saisit l'intensité de l'ensemble.

Pour finir, je dirais que s'il m'a autant séduit, c'est aussi parce que c'est un des seuls livres à être né à l'évidence dans l'Immateria (lecteurs de Promethea d'Alan Moore, c'est à vous que je m'adresse), à toucher un monde qui jusqu'alors ne s'était manifesté quasi exclusivement qu'à travers les oeuvres des conteurs britanniques ayant choisi comme mode d'expression la bande dessinée.
De ressentir la richesse d'un tel univers couplé à la liberté d'imagination qu'offre le roman (par rapport à la BD qui offre des images finies), quel bonheur!!

Ô sales jeunes, prenez conscience de la chance que vous avez!
Rowling vous a offert la magie d'Harry Potter (enfin, vendu, disons), le grand Gaiman vous a fait effleurer l'essence du mythe via son magnifique conte Nobody Owen (dont je ne me suis toujours pas vraiment remis), et Pullman vous a donné A la Croisée des Mondes.
Si avec tout ça vous ne reprenez pas goût à la lecture, retournez à vos Twillight et laissez moi rêver...
toma_uberwenig
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le 25 juil. 2011

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toma Uberwenig

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