Les ruines par Courte-Focalefr
En 1993, Scott Smith publie son premier roman Un Plan Simple. L’ouvrage devient un best-seller et promet une belle carrière pour cet écrivain de moins de trente ans. Mais Smith semble se perdre un peu en court de route. Comme il le confie dans les colonnes de Mad Movies, il se lance dans un nouveau roman qu’il n’arrivera jamais à achever. Après avoir gratté plus de mille pages en cinq ans de labeur, il se rend compte que son histoire n’avance pas et qu’il risque d’accoucher d’une monstruosité. Son salut, il le trouve en acceptant de signer le scénario pour l’adaptation cinématographique d’Un Plan Simple que mettra en scène Sam Raimi. L’expérience sera libératrice et lui ouvrira de nouveaux horizons. Un processus qui le conduira à reprendre la plume pour signer son second roman : Les Ruines. D’une certaine manière, Smith revient à la source de sa première œuvre. Dans Un Plan Simple, il contait la découverte d’un sac plein de billets par trois amis. De fil en aiguille, les personnages entretenant jusqu’alors de parfaits rapports vont se déchirer. Soumis à une situation particulière, les liens entre eux se révèlent peu solides et ils se disloquent pour conduire à une véritable tragédie. Les Ruines fonctionne sur le même principe. Parti visiter un site archéologique, un groupe composé de deux couples se retrouve cerné par des mayas belliqueux. Ils découvriront qu’ils sont en réalité en quarantaine car les lieux sont infestés par des vignes carnivores particulièrement insidieuses. A partir de là, Smith crée un récit de survie entièrement axé sur la décomposition du groupe.
Pour se faire, Smith doit trouver un moyen de transmettre le développement psychologique de ses personnages. La solution la plus évidente aurait été de faire un récit à la première personne où chaque chapitre nous plongerait dans la tête d’un des personnages. Mais un tel outillage manque un tantinet de flexibilité au regard de l’action. Smith choisit donc de recourir à l’option du narrateur omniscient à la troisième personne. Celui-ci surplombe la situation et peut donc envisager tous ses aspects. Cela permet à Smith de passer avec aisance des pensées d’un personnage à un autre. De ce fait, il dépeint avec justesse les remords, angoisses et détresses de ses quidams un peu trop désinvoltes. Smith a néanmoins conscience qu’il ne doit pas abuser de sa position dominante et fait des choix pertinents au sein de cette orientation. Un aspect intéressant apparaît notamment dans la manière dont il traite le groupe d’amis de longue date et leurs deux autres compagnons de route. Les deux couples doivent en effet cohabiter avec l’allemand qui les a amené sur place et un grec dont ils ne comprennent pas la langue. De toute façon, ils connaissent à peine ces deux personnages. Naturellement, ceux-ci sont en quelque sorte mis à l’écart du groupe. Smith le traduit en ne s’aventurant jamais dans leurs pensées. Il aurait bien pu nous transmettre la peur d’un personnage paralysé suite à une chute ou les remords de celui qui a conduit le groupe dans cette situation. Mais non, il choisit de ne garder sur eux qu’un regard extérieur à l’image de celui des quatre personnages avec qui le lecteur partagera les pensées.
Outre son ambition d’un traitement avant tout psychologique, le choix de raconter le récit en investissant la tête des personnages apporte une crédibilité à la menace. Bien qu’ayant pragmatiquement étudié son sujet botanique, Smith doit faire croire aux lecteurs à cette plante carnivore capable d’émettre des sons, de s’infiltrer sous la peau de ses victimes et surtout de raisonner stratégiquement comme un prédateur. En montrant comment la plante se dévoile par les yeux du groupe, Smith traduit l’impact terrifiant de ces constatations. Attaché au ressenti des personnages, le lecteur est plus à même de croire alors aux descriptions faites. Smith communique autant des faits que des impressions. A l’instar des personnages, ce sentiment de terreur suspend notre crédulité et bouscule ce que l’on croit savoir. On peut alors être saisi par le machiavélisme d’une plante jouant sur l’avilissement du groupe. Car c’est par les faux espoirs et l’introduction de potentiel trahison qu’elle aura sa « victoire ». Cette force primale exploite la trop grande confiance en eux des personnages et les démolit pour pouvoir finalement s’en repaitre plus facilement. On constate alors la merveille de la mécanique du roman où la plante est l’outil à la décomposition du groupe mais n’obtient sa puissance horrifique que grâce à celui-ci.