Qu'arrive-t-il à Cerutti ? Je suis inquiet, est-ce qu'il coince sur l'entame du second cycle du Batard de Kosigan ? Est-ce la malédiction du cinquième tome qui, après Davoust et ses dieux sauvages, frappe à nouveau ? Du genre le gars qui crée, dans ses quatre premiers opus, un univers tellement et de plus en plus complexe qu'il n'arrive plus vraiment à s'en dépêtrer lorsqu'il s'agit de pondre le numéro cinq. Ce recueil de nouvelles m'a tout l'air d'avoir une fonction d'attente, pour faire patienter le lecteur qui réclame à corps et à cris la suite d'une de ses sagas de prédilection. Et peut-être aussi pour apaiser l'éditeur, qui, le temps passant, touche du doigt le risque de voir l'intérêt du public s'estomper et Pierre Cordwain de Kosigan frappé d'un sort d'oubli.
A supposer que ça soit le cas, il faut admettre que l'exercice est quand même plutôt réussi. A défaut d'arriver à s'y retrouver dans les méandres de ses intrigues enchevêtrées, il faut admettre que Cerutti n'a rien perdu de ses talents de conteur. Et qu'il a conservé toute sa gouaille et son humour, un brin cynique, qui n'est pas sans rappeler par moments celui de Jaworski. Faute d'attaquer le cycle 2 du bâtard, il nous livre six nouvelles de fort bonne facture et garde au chaud l'univers de son personnage fétiche, puisqu'elle y sont, pour cinq d'entre elles au moins, clairement inscrites. Cet univers construit sur une solide base historique médiévale, mais qui y insère, de manière habile car discrète, des éléments de fantastique puisés dans le jeu de rôle (type Donjon & Dragons) et dans la large palette des créatures des légendes populaires du monde entier.
Un bouquin d'attente donc, mais plutôt sympa et réussi, d'autant que son auteur à le bon de goût de varier son style littéraire à chaque nouvelle, la dernière étant une pièce de théâtre à la façon de Shakespeare, quoiqu'un peu plus goguenarde que les originaux. Une confirmation, si besoin en était, du talent de Cerutti que je place parmi les tous bons auteurs contemporains de Fantasy française. Que les rares lecteurs de cette chronique se le disent.