Mettons-nous bien d'accord d'emblée. Ce livre m'a laissé un goût amer en bouche. Non pas qu'il soit particulièrement mauvais ou mal écrit, mais il échoue à m'apporter ce que j'en attendais.
Ah oui, cette critique contient de nombreux SPOILER.


Mais avant de cracher sur ce livre pourtant honorable, soulignons la sublime illustration de Marc Simonetti et le courage qu'il a fallu à Estelle Faye pour passer de la littérature jeunesse à la dark-fantasy.


Les politesses étant terminées, allons-y. Alors voilà: est-ce qu'Estelle a déjà réfléchie deux seconde à ce qu'est et ce qu'implique une révolution? C'est tout bonnement fascinant de voir à quel point ses personnages reflète cette naïveté en matière de politique ou de lutte des classes. Puisque c'est bien de cela qu'il s'agit ici, de renverser l'Empire. Pourquoi? Bon bah parce qu'il est méchant. A la limite ça me dérange pas tant que ça qu'il soit pourri cet empire de Bohen, mais quand même... C'est quoi ces clichés de vilains nobles dominateurs? Sérieusement, de la nuance!
Et encore ça on s'en fout pas mal au vu des autres lacunes de cette trame narrative. A aucun moment, et j'insiste bien là dessus, on ne trouve une interrogation sur ce qu'est une révolution, sur ce que cela implique de faire une révolution (lisez Camus, regardez Snowpiercer, etc... pas besoin d'être diplômé en sciences politiques pour dégager quelques idées sur la question), ou encore sur ce qu'on fait une fois que la révolution est achevée. Non, Estelle Faye s'en contrefout. Il faut faire la révolution parce que vive la liberté et à bas les méchants puissants. Sauf qu'à la fin, ce sont nos personnages qui sont les puissants! Et alors à ce moment là nous découvrons qu'ils ont du mal à faire mieux que l'emp... Ah non. En fait rien de tout ça. Quand ils sont au pouvoir c'est la fin. Et puis Sigalit si elle est suivie comme "La voix" (ce qui est très improbable dans un univers où la misogynie doit taper des records) ce n'est pas parce qu'elle a un projet pour Bohen et son peuple. Ah non, si elle est suivie c'est parce qu'elle sait dire "espoir" et "liberté". Alors je suis bien d'accord que ça aide mais faudrait songer à aller plus loin quand on veut renverser un empire millénaire non? On essaye bien de nous parler de livres, de la force de la connaissance et tout ça, c'est louable. Mais même ceux qui les lisent, genre Sigalit, n'en tirent pas bien plus de considération sur la nature du pouvoir, de l'Etat, etc... Alors je ne veux surtout pas lire un bouquin de philo politique quand je m'attaque à ce genre de roman. Mais bon... Hein...
Alors on égorge sans se poser de question, on attaque les méchants nobles et on gagne parce que cet empire de Bohen est dirigé par des babouins savants. Non sérieusement, malgré les complots, comment un empire a pu tenir un millénaire en étant si mal foutu. L'armée est inexistante en fait, rien, nada. Et puis, pour revenir à la force de la révolution par un peuple supposément éclairé (je le répète, personne n'a l'air de s'intéresser à autre chose que botter le cul des puissants), bah en fait non. Non plus. Ce n'est pas la foule qui balayera le pouvoir établi, c'est deux types qui font de la magie de façon plutôt classieuse. Alors on me dira que c'est Sigalit qui ouvre les portes de la ville. Oui mais à ce moment là y a déjà plus un rat dans le navire. Moi aussi je peux prendre Paris si on me file les clés en partant. C'est la peur de la force, et non pas la légitimité d'une revendication politique appuyée par le peuple, qui va faire chuter l'empire.
Cette naïveté politique nous viendrait-elle d'une trop longue habitude dans l'écriture de roman jeunesse? Je ne saurais le dire.


Mais c'est pas fini! Quelques points m'échappent ou me chagrinent encore.
D'abord, pourquoi cette volonté systématique de présenté des couples non hétérosexuels. Pas que ça me dérange plus que ça, loin de là. Au contraire, la normalisation dans la fiction de comportements sexuels et/ou sentimentaux qui peuvent être considérés comme anormaux est un processus que j'encourage. Mais là à force de trop vouloir mettre de confiture la tartine déborde! Si ce n'était pas systématique ou si cela servait un quelconque propos ou une quelconque intrigue, alors oui sans problème. Mais non. Encore une fois, non.
En dehors de ça je voudrais quand même déploré la pauvreté intellectuelle de Bohen. Alors je veux bien qu'on soit dans un empire d'attardé qui ne sont pas capables de prendre la mesure de la révolution qui leur tombe sur le coin de la gueule, mais je pensais qu'en un millier d'année il y en aurait bien un ou deux pour se réveiller les méninges. Car, soyons clairs, c'est en bonne partie via la lecture de La fin des Empires que les gens commencent à se bouger. Ok, et celle qui a écrit ce bouquin en découvrant que, oh mon dieu, en fait l'empire est construit sur un mensonge, et bien cette dame elle peut faire tout ça en étudiant quoi? Une ville en ruine plus grande que la capitale. Alors même si on est un peu fainéants du côté des historiens, archéologues et sémiologues de Bohen, y a des limites les gars. En mille an vous auriez probablement pu arriver à faire ce que la dame a fait en une vie.
On regrettera également quelques personnages qui agacent, oui je parle de toi Sainte-Etoile. Pourtant je l'aimais vraiment bien ce bougre avec son ami bougon. Mais alors quand il commence sa love story avec Sorentz/Sonia... Diable que cet homme devient niais et inintéressant. De même pour notre morguenne du sel, pouvoir sympa au demeurant, qui, même si elle a une belle révolutionnaire qui l'attend, préfère naviguer toute sa vie sur une bateau rempli de monstruosités. Sans parler du fait que la situation risque de devenir pénible pour la dame du sel, pourquoi choisit-elle la mer et l'horizon? Et bien... Parce qu'elle aime la mer et l'horizon. Oui, je sais, on aime ce qu'on aime sans devoir se justifier. Mais quand même quoi. Ne fait pas comme ta douce Sigalit qui récite des banalités. Surprend-nous! Ehhhh non... Elle nous sort des tirades sur la liberté parce qu'elle a été frustrée toute sa vie de pas pouvoir naviguer. Pas fou comme motifs quand il s'agit de s'embarquer avec des aberrations magiques jusqu'à on ne sait quand.


Vous l'aurez compris, on a un paquet de truc agaçant dans ce roman. Celui-ci se veut d'ailleurs dark-fantasy mais on peine réellement à ressentir cette atmosphère lourde, déchirante de réalisme, qui caractérise selon moi la bonne dark-fantasy (coucou Poe, coucou Stephen King). Mis à part quelques scènes qui glacent un peu les sangs on reste dans un univers qui veut montrer qu'il est sombre sans jamais le faire vraiment. Dommage c'était pourtant pas si loin.
Alors pourquoi avoir mis 5/10 alors que je crache sur le roman sous tous les angles? Parce que c'est plutôt bien écrit. Pas flamboyant de style mais bien écrit. Je déplore des descriptions de la psychologie des personnages qui sont un peu trop monochromes ou binaires, mais les descriptions de lieu et d'environnements sont réussies. Les dialogues accrochent et coulent avec un naturel rafraîchissant (mention spéciale à Sainte-Etoile et Morde) et on aime ça. Mais malgré ces qualités de style, la fond peine trop. La prétention à la dark-fantasy tombe relativement à l'eau et cette révolution est bien trop bancale, en plus d'être prévisible dans tous ses ressors.


Alors lisez Les Seigneurs de Bohen si vous n'êtes pas trop exigeant en terme de vision politique. Lisez-le si vous souhaitez lire une plume qui, si elle dépasse certains de ses écueils, peut produire de magnifiques romans de fantasy. Lisez donc.

Simon_Findor_Ri
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le 2 juil. 2017

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