tout ça pour ça ?
J'ai lu deux pièces d'Eschyle à la suite (mon incapacité, quelques semaines plus tard, à me rappeler laquelle était la première montre bien à quel point cela m'a semblé peu mémorable), et j'ai...
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le 17 avr. 2016
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Qu’Eschyle me pardonne. Je l’ai lu durant mes études et je n’en ai gardé que quelques souvenirs d’une belle réflexion sur la justice un peu ardue – mais lire le théâtre grec est forcément une infamie…
La pièce a obtenu en 2019 une très contestable notoriété lorsqu’un groupe d’excités « anti racistes » a voulu interdire la représentation sous prétexte que les acteurs portaient, dans un juste retour à la tradition, des masques, pour certains, des masques …noirs…
Armés pour les uns de leurs cadenettes, ces grosses nattes « de la peur » , pour les autres de leurs blousons de papys rockers nostalgiques des « contre-cultures émancipatrices » selon la formule de Michéa qui a montré leur caractère paradoxalement asservissant, ils ont voulu empêcher la représentation de la pièce. Le réalisateur a eu beau protester devant les copieuses insultes proférées par ces combattants du Bien, rappeler comiquement qu’il n’y avait rien de raciste dans le port d’un masque et que « ma dernière reine perse était noire de peau et portait un masque blanc », rien n’y a fait. S’il protestait et essayait de se justifier, c’est - bien sûr !- que ses intentions étaient coupables ; on ne peut accepter ce racisme infâme, il faut protéger le public de ces idées immondes d’autant plus pernicieuses qu’elles sont larvées, on peut être contaminé sans s’en rendre compte ! La postérité retiendra de nous que nous avons été les premiers lanceurs d’alerte et que par notre censure nous avons essayé d’endiguer la propagation du Mal !
Sauf que leur compréhension de la réalité et de l’histoire est affligeante d’ignorance et de bêtise. Sauf qu’ils essaient de censurer ce qu’ils ne peuvent comprendre, sauf qu’enfermés dans leurs idées fixes soutenues par les médias, leurs groupes politiques et leurs certitudes obtuses, ces pauvres hères exportés d’Evergreen ont tué toute intelligence en eux et que, par un renversement des valeurs de plus en plus courant à notre époque, ils jouent sans le savoir le jeu de tous les racismes. A la recherche d’une cause juste à défendre, animés du désir de faire partie des apôtres, ils se sont privés de toute lucidité et leur éducation ne leur a pas permis d’avoir une approche de l’Histoire – et des êtres- autre que manichéenne. Car, privés de Christ , ils ne sont que les apôtres du vide de leur conscience, voire de leur vie . La phrases de Bloy que m'a rapporté Josh_Athanase exprime leur état avec justesse : « Il faut penser à l'incroyable anémie des âmes modernes pour bien comprendre l'eucharistique succès de ces évangélistes du Rien »
Caricatural, me direz-vous ? Actes de quelques agités peu représentatifs ?
Si on regarde autour de nous, et il ne faut pas chercher bien loin , cette abdication de l’intelligence devant des valeurs vidées de leur sens est courante. Les braves gens n’osent pas intervenir puisqu’ils ne sont pas racistes et n’ont pas envie de passer pour les héritiers d’Hitler. Après tout, le mot « anti raciste » exprime bien une opposition au racisme. On veut expurger la culture, déboulonner les statues, apporter une traduction moins raciste au roman « Autant en emporte le vent », changer le titre de romans sous prétexte que certains mots sont à proscrire - alors même que le langage de ces antiracistes, quand on s'oppose à eux, est gonflé d'insultes et de mépris ? C’est peut-être la marche du progrès puisqu’après tout, c’est pour éviter de heurter les âmes sensibles, c’est pour la bonne cause.
Quand on en est là, on accepte la censure au nom du Bien. C’était l’argument des pires Staliniens : il faut imposer le Bien auPeuple, même malgré lui, même en le sacrifiant, même en condamnant l’innocence. Ces tyrans n’étaient pas incultes, depuis, on a lu Les Justes de Camus ou Le zéro et l’infini de Koestler. Et on n’a rien appris. Quand des gens éduqués sont capables de tomber dans ces travers, c’est le moment de s’inquiéter.
Nota Bene : Je désactive d’emblée les commentaires, hélas, car les temps ne sont plus aux discussions…Je citerai seulement Roubachof, dans le Zéro et l’infini , peu avant son exécution :
« Je plaide coupable d’avoir placé la question de la culpabilité et de l’innocence avant celle de l’utilité et de la nocivité. Finalement, je plaide coupable d’avoir mis l’idée de l’homme au-dessus de l’idée de l’humanité. »
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le 13 août 2020
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