Véritable récit de voyage mais aussi comédie romantique, le Pulitzer 2018 se concentre non sans humour sur les doutes d’un écrivain homosexuel à l’approche de la cinquantaine.


Less is more. Arthur Mineur (Arthur Less dans la version originale américaine) a l’impression tenace de passer à côté de sa vie et de ses rêves : approchant la cinquantaine, il constate douloureusement qu’il est de nouveau célibataire et que ses romans ne connaîtront jamais le succès escompté, d’autant plus que son dernier manuscrit a été refusé par son éditeur. A partir de là, comment retrouver le goût de la vie ? Et comment supporter que Freddy Peluche, l’homme avec qui il a couché plus de neuf ans sans jamais avoir osé déclarer son amour, se marie ? Une seule solution : partir, et n’en déplaise à Sénèque qui déclare abruptement « A quoi sert de voyager si tu t’emmènes avec toi ? C’est d’âme qu’il faut changer, non de climat ».


Le roman que Mineur a fini d’écrire ressemble furieusement au roman que le lecteur est en train de lire mais, comme le dit un personnage, « c’est un peu difficile de ressentir de l’empathie pour un type comme ça », un homme blanc d’âge mur qui déambule ses chagrins d’Américain blanc d’âge mûr, même homosexuel. La magie du Pulitzer opère pourtant grâce à un humour et une vision quelque peu désabusée de la crise de la cinquantaine. Il semblerait que la vie d’Arthur Mineur gagne beaucoup en légèreté lorsqu’elle est narrée par Andrew Sean Greer : chute évitée de justesse d’un balcon à Berlin, grand amour, lui aussi évité, sur un balcon à Paris, tempête de sable au Sahara, aiguille dans le pied en Inde, etc. Cette succession d’épisodes donne consistance à un personnage qui devient attachant et que l’on comprend avoir accepté une série d’invitations pour partir à l’autre bout du monde, loin du seul homme qu’il ait jamais aimé. Arthur Mineur ne souhaite de toute façon pas se trouver un nouvel amant car « quand on a été une fois vraiment amoureux, on ne peut pas vivre en se disant que ça va « faire l’affaire » ».


Les Tribulations d’Arthur Mineur, en plus d’aborder les amours homosexuelles, les voyages un peu ratés, la crise de la cinquantaine, est aussi un roman sur la littérature, sur ce que ça fait de se comparer constamment à un génie et de vivre avec, un roman sur le sentiment de ne jamais pouvoir écrire la grande œuvre rêvée, de côtoyer un grand courant littéraire sans même en faire partie. En résumé, une comédie romantique entre Bridget Jones et écrivain homosexuel torturé.


« C’était comment de vivre avec un génie ?
C’était comme si on vivait seul.
C’était comme si on vivait seul avec un tigre.
Tout devait être sacrifié au travail. Il fallait annuler des projets, retarder des repas ; il fallait acheter de l’alcool sans tarder, ou bien il fallait tout vider dans l’évier. L’argent, il fallait l’économiser, ou alors le dépenser sans compter, et ça changeait tous les jours. Les heures de sommeil, c’était le poète qui en décidait, et cela donnait aussi souvent des nuits blanches que des levers aux aurores. Les habitudes, c’était comme l’animal domestique démoniaque de la maison : il n’y avait que ça, les habitudes, les habitudes, encore les habitudes ; le café du matin, les livres, la poésie, le silence jusqu’à midi. »

JulienCoquet
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le 31 janv. 2021

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Julien Coquet

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