Le Grand Siècle

Se décider à lire Les Trois Mousquetaires, suite à l'acquisition d'une vieille version jaunâtre d'occasion et après avoir vadrouillé en quête de nouveaux classiques à entamer, c'est respirer la France à plein poumons.
Un jogging littéraire de bon matin en compagnie de Sire Alexandre Dumas, qui m'a fait l'honneur de m'accompagner pour ma première destination en partance de la sinistre province du Gascon, jusqu'à Surgères, en passant par Londres, La Rochelle et Armentières...

Une épopée respectivement fictive et historique à travers la France du trône et de l'autel, qui ne manquera pas d'intrigues politiques où s'entremêlent intrigues personnelles tantôt incarnées par ce qu'il y a de plus noble chez l'Homme, comme l'impétueux D'Artagnan, parfaite représentation du gentilhomme français, esprit éclectique et romantique s'il en est mais néanmoins fidèle serviteur du Roi ; tantôt par ce qu'il y a de plus vil, comme la sulfureuse Milady, parfaite représentation de ce qu'une Judith peut causer au sein d'une cour aristocratique, usant de tous les procédés de séduction possibles pour arriver à ses fins revanchardes (heureusement d'ailleurs qu'un tel esprit vindicatif fût contrôlé par une main de fer comme celle de Son Éminence). Cependant, cet antagonisme de caractère procède avant tout d'une rivalité de bonne augure entre le roi Louis XIII et le cardinal Richelieu, qui aiment à se guerroyer indirectement par le biais de leurs milices toutes dévouées à leur personne. Cette différence de tempérament dépeint le premier, qui fut historiquement connu pour son dévouement à l'idéal chrétien de piété, sobriété et chasteté, comme un Roi absent des affaires de l'Etat en plus d'être un mari faible ; tandis que le Cardinal est décrit, malgré sa loyauté à l'autorité royale et sa haute conception de l'Etat, comme un personnage sombre, machiavélique et taciturne, n'hésitant pas à juger tous les moyens nécessaires quand il en va de l'intégrité de la Cité.

À travers la coexistence de ces deux natures distinctes mais complémentaires, on retrouve quantité de personnages qui se fondent dans cette prodigieuse période de l'Histoire de France que fut Le Grand Siècle, allant du Roi-converti Henri IV jusqu'au Roi-Soleil — où il est d'ailleurs précisé que le père de D'Artagan fut un fidèle sujet du défunt assassiné, sous l'égide de M. de Tréville sans qui rien n'eût été possible pour notre jeune compagnon. Mettant en exergue les problèmes d'antan que furent le protestantisme via le siège de La Rochelle et le mystique Felton ; les démêlés de toujours avec la perfide Albion, représentée par l'amant de la douce reine Anne d'Autriche : le romantique duc de Buckingham ; l'utilisation excessive du Duel pour un oui ou pour un non, contingence qui mènera notre jeune gascon à une suite de péripéties fraternelles avec la Sainte Trinité de mousquetaires que sont Athos, Aramis et Porthos. Sans oublier tous les personnages secondaires mais nécessaires à l'étoffement d'un récit, comme M. Bonacieux, le stéréotype du bourgeois pusillanime, Mme Bonacieux, la courtisée du personnage principal, les différents valets des mousquetaires etc...

Ce chef-d'œuvre est fondamentalement une ode à l'esprit de camaraderie et au panache français, qui se traduira durant la narration par un rythme concomitant - honnêtement, les 600 pages se dévorent et s'enchaînent le plus naturellement du monde -, un style qui est pondéré, contrairement à ce que j'ai pu lire concernant la soi-disant pauvreté de celui-ci, avec des dialogues d'un raffinement de langage propre au XVIIe siècle — allant même jusqu'à une forme de pédantisme quelquefois, notamment avec les prêtres déblatérant des discours en latin incompréhensibles aux yeux du lecteur moqueur. De nos jours, on a tendance à regarder d'un œil risible cette manière de formuler, mais cet excès de politesse mutuel entre deux interlocuteurs parfois virulemment en désaccords, rendent certaines scènes particulièrement touchantes. Je pense notamment à la dernière scène magnifique de réconciliation des forces en présence, pour l'intérêt suprême du Royaume de France, sa gloire et sa prospérité face aux nouveaux défis qu'il devra endurer...

Les plus nobles conquêtes sont celles des cœurs et des affections. Armand Jean du Plessis de Richelieu, Maximes d'Etat.

PS : À quand une adaptation au théâtre de la scène phénoménale entre l'insidieuse Milady et le crédule Felton ?