Après les émaux et les camées de Gautier, les Améthystes opalescentes et la Coupe cinabre de Théodore de Banville, le fatras de bizarreries antiques et exotiques rapportées par Leconte de Lisle, c'est au tour de Jean-Marie de Heredia, en bon suiveur, de venir déposer ses Trophées sur les étagères déjà bien remplies du Parnasse. Ce qui n'était que maigre cabinet se fait collection particulière. Les trophées du titre ce sont les stèles antiques, les fûts de colonnes gravées, les tombeaux des catacombes d'églises, les livres reliés... tous ces vestiges qui sauvent le Passé de l'oubli dévoreur. Ce sont par extension ces sonnets si bien rythmés, si bien délimités qui se dressent comme des coupes olympiques ciselées, incrustées et niellées.
Largement moins exhaustif et ambitieux que la Légende des Siècles, le poète doté d'ornières propose sans aucune originalité, au travers de 118 sonnets à la forme impeccable un abrégé fragmenté et partial de l'Humanité. Si l'antiquité gréco-romaine est allouée à une bonne partie du recueil, le Moyen Âge et la Renaissance se cantonnent à quelques sonnets vite expédiés alors que la Préhistoire (ou la Bible) et Temps Modernes sont quant à eux purement et simplement oubliés si ce n'est quelques digressions bretonnes et campagnardes. Le morceau le plus original est alors celui dédié à la conquête du Nouveau-Monde. S'adjoint en effet aux sonnets le long poème "Les Conquérants" ainsi qu'une reprise un peu vaine du Romancio.
L'érudition est ici encore plus à son comble : chaque morceau sur la Grèce s'inspire d'épigrammes bien précis, le moyen-âge n'est qu'un prétexte pour évoquer le vitrail et les gisants, la Renaissance des descriptions minutieuses et documentées du travail de l'orfèvre ou du relieur. Le Nouveau-Monde en revanche est un pays lumineux, sensuel et charnel, ensanglanté par l'oeil d'Hélios couchant et les reflets des cités d'or et les fantômes des conquistadors errant dans ces cités émergentes et déjà fumantes, sorte de Bible mésoaméricaine. De Lisle originaire des îles teintait son oeuvre de fantaisie exotique, Heredia s'éprend lui de nostalgie pour ses origines cubaines et tout particulièrement pour son ancêtre fondateur de Carthagène des Indes.
Heredia pousse à son paroxysme le jeu sur la forme, astiquant les vers à l'extrême, parfois maladroite, l'effet escompté ne fait pas systématiquement mouche et aussi polis soient-ils ratent souvent le coche. Heredia est un peu ce bon élève discipliné, doué mais pas brillant, limite fayot, qui s'efface totalement une fois sorti de classe, ni concours général réussi avec brio, ni bagarres dans la cour de (ré)création.