Les critiques le disent "percutant", "poignant". Certes, il l'est. Mais plus encore, ce roman m'a dérangée. Heurtée. Autant par le sujet profond, la "boulimarexie" d'Anna, la jeune héroine, que par le mode narratif utilisé par l'auteure de Purge.
Elle plonge le lecteur dans les tripes d'Anna, dans son désir de décider ou transgresser ce qu'elle est, dans les méandres de son conscient. Sa boulimie, les details crus et vomis à la face du lecteur. Cette narration à la première personne force le lecteur à faire face a anna, comme un thérapeute à qui elle jetterai à la figure tout son mal-être. Anna doit vivre dans le sillon d'une mère qui refuse ses origines, qui lui refuse ainsi le droit même de reconnaitre qui elle est. Les trop rapides passages (ceux-là à la 3e personne, et sous forme de retours en arrière volontairement disloqués et souvent difficiles à suivre) évoquant le départ de Katariina (la mère) d'Estonie lorsque son pays était sous le joug soviétique en 1970, les dessous de l'occupation et la misère qui en a découlé m'a laissé une impression de trop peu. Le roman décousu est certes ad hoc et donne un poids supplémentaire aux mots employés par la jeune fille, et l'idée d'un lien entre la privation en URSS, la recherche d'identité, avec l'anorexie et la boulimie, y ajouter par touches l'image d'un père absent et rompu à la fréquentation des prostituées russes, est brillante.
En revanche, il faut être un lecteur apte à entrer dans l'univers chaotique de Sofi Oksanen, à s'imprégner de sa plume hachée et tranchante, parfois irrégulière, à se suffir de peu de détails, à se contenter d'une histoire distillée volontairement. Je ne suis pas de ce type de lecteurs là. Mais je reconnais volontiers la qualité de cette oeuvre douloureuse et pointue.