Les Vaches de Staline par Fl0re
Katariina, estonienne, a grandi de l'autre côté du « Mur ». En épousant son Finlandais de mari, elle a tout fait pour ne pas être « comme les autres ». Comme toutes ces estoniennes qui se font entretenir par le premier Finlandais venu, ces femmes achetées contre une paire de bas finlandais.
Et puis, Katariina donne naissance à une petite fille. Sans cesse en alerte par peur du KGB mais également profondément attristée par son déracinement natal, la mère veut faire de sa fille une parfaite petite Finlandaise, lui faisant promettre de ne jamais révéler sa double origine.
Anna, née dans les années 1970, de mère estonienne et de père finlandais, est hantée au plus profond de son estomac par « Son Seigneur ». Il lui dicte ce dont elle a envie, parce qu'elle, elle n'a aucune idée de ce qu'elle peut bien vouloir. Il la submerge chaque jour un peu plus, dévorant ses kilos à coup de vomissement.
« Je n'avais jamais eu de haine, seulement un ventre qui se remplissait à ras bord. »
Dépourvue de racine, Anna ingurgite toute la nourriture qu'elle peut pour tenter de se trouver une identité dans un corps déjà trop stigmatisé par la honte de ses origines.
« Anna est devenue une jeune fille qui n'a honte de rien, elle qui n'était que honte et silence, silence de la honte et honte du silence. »
« Les vaches de Staline », premier roman de Sofi Oksanen, peut se découper en trois récits qui apparaissent au fil de l'histoire sans grande chronologie : la rencontre entre Katariina et le Finlandais, la boulimie dévorante d'Anna et l'Estonie stalinienne de Sofia et Arnold, les parents de Katariina.
La maladie d'Anna, cette « boulimarexie », est décrite dans les moindre détails, et bien qu'écrite de façon très froide, presque lointaine, la souffrance nous imprègne vite.
« J'ai cousu ma bouche et inventé pour mon corps une langue où les kilos sont des mots, où les syllabes sont des cellules, une langue où les reins endommagés et les viscères déchirés sont des règles de grammaire. »
L'Estonie y est narrée avec ses détails essentiels du quotidien, ses rationnements qui font d'Anna une princesse finlandaise et son parti qui s'insurge même dans les rapports les plus intimes de ses camarades.
Enfin, « Les vaches de Staline » est un livre qui ne traite ni de la boulimie, ni de l'Estonie soviétique. Il creuse plutôt, selon moi, la question de l'identité. Il nous fait vaciller entre l'Estonie et la Finlande d'Anna, donnant à ces terres plein de paradoxes. «Les vaches de Staline » nous rappelle cette incisive question : où est notre chez-nous ?