Le temps est un fleuve qui s’écoule sous une épaisse couche de glace. Les Voies d’Anubis sont les trous qui se forment à sa surface et qui permettent de fuir le cours inéluctable du torrent temporel.
Voici à peu de chose près le postulat initial de cette histoire qui se veut à l’origine du mouvement Steampunk (le texte date de 1983). L’histoire démarre en 1980 et le héros se retrouve embarqué, plus ou moins contre sa volonté, dans un voyage à travers les âges après avoir passé un marché avec un vieil excentrique à la recherche de celui qui fut peut-être le premier loup-garou. Il plonge alors dans les bas-fonds de l’Angleterre de 1810, englué jusqu’au cou dans une guerre souterraine entre des adeptes de magie occulte et ceux de magie blanche, mêlée d’une lutte de territoire entre traîne-savates du pavé londonien.
Bon, là, raconté comme ça, ça sent un peu le joint de linoléum. On se dit que Powers a dû sniffer un peu plus que du Saint Maclou. Mais, les choses commencent à s’éclaircir quand on apprend que le loup-garou en question est en fait un prêtre du culte polythéiste égyptien qui abrite l’âme d’Anubis revenu d’entre les morts et qui, régulièrement, doit changer de corps car celui-ci se recouvre progressivement d’une épaisse fourrure sombre. Prêtre qui n’est qu’un double (un ka) d’un maître en magie noire qui rêve de voir les dieux antiques de l’Egypte revenir sur le devant de la scène et supplanter les Français et les britanniques qui ont eu l’audace de mettre son pays à leur botte. Et le double de ce double se sert d’un clan de tire-laines anglais pour accomplir ses basses besognes et détruire la moribonde communauté de sorciers « blancs » qui tente de lui faire barrage.
Ah, on me signale dans l’oreillette qu’il y a toujours une odeur suspecte !
Eh bien, pour être tout à fait franche, ça ne s’éclaircit pas beaucoup plus que ça. Bon, déjà, Powers a un style bien alambiqué à souhait qui te scotche le cul par terre pour un petit bout de temps (le temps d’essayer de piger ce que le monsieur a bien pu vouloir essayer de nous dire). Ensuite, j’ai eu aussi l’impression de tomber sur un récit pour les initiés, avec des personnages non-présentés et des concepts non-détaillés, comme si nous étions déjà censés les connaître (or, moi, l’histoire littéraire anglaise du XIXème siècle, l’égyptien antique et le bohémien, ça n’a jamais fait partie de mon cursus).
Bref, même si l’idée d’origine est plaisante, que les concepts compréhensibles sont intéressants, que l’ambiance poisseuse des bas-fonds londoniens est très bien dépeinte ; le récit tire en longueur d’une part et demeure très confus parfois. Et puis, pour une fana de mythologie égyptienne comme moi, je suis restée profondément sur ma faim.
En spoiler, deux petits exemples du style du bonhomme, histoire que vous vous rendiez compte de l’ampleur du désast… de la tâche :
« Le pavé se voyait à présent, toutes les deux minutes, frénétiquement débarrassé de sa poussière par un corps de balayeurs en guenilles qui, chacun, travaillait jalousement sur sa portion de trottoir durement conquise devant les pas des dames et des messieurs susceptibles de leur donner un pourboire avec, pour toile de fond, la colonnade dorique de Covent Garden, récemment reconstruit après avoir brûlé de fond en comble en 1808, et dont la grandiose architecture, dans la clarté des lampadaires et dans la lumière dorée de ses lustres antérieurs, se parait d’une autre élégance que sous le dur éclat du soleil. » (Vous pouvez respirer.)
« Dans la faible mesure – approximativement celle des réflexes d’un insecte – où le jeune homme pouvait être content de quoi que ce fût, il l’était de ce que la domination du Dr Romany sur sa volonté ne fît pas que le soulager du sensible fardeau du libre arbitre mais lui permît également de faire abstraction de la douleur physique. » (On comprend, mais faut s’accrocher quand même…)