Texte fondamental qui touche au cœur de la doctrine, d’une manière particulièrement synthétique. La dimension « pratique » du texte est remarquable et est une invitation à de nombreuses relectures, ruminations, méditations et (tentatives de) mises en pratique.
Vivre en épicurien c’est tout à la fois agir (être dans le domaine de la pratique), et penser (faire de la philosophie, avoir une activité intellectuelle). Jamais la dimension pratique de la philosophie d’Epicure ne s’oppose pas à sa dimension intellectuelle. La Lettre à Ménécée peut être ainsi lue comme une liste de conseils utiles pour l’atteinte du repos de l’âme (ataraxie) et du corps :
L’évacuation de toute norme d’âge pour la pratique de la philosophie : Epicure perçoit une coïncidence immédiate entre philosophie et bonheur. Dire « le bonheur, on verra plus tard, je suis trop jeune » ou « le bonheur, c’était avant, maintenant je suis trop vieux » n’aurait aucun sens. En réalité le bonheur est quelque chose de beaucoup plus radical et essentiel pour Epicure qu’une forme de petit épanouissement personnel passager. Le bonheur nous accompagne toujours, autant que l’absence de bonheur : quand nous ne l’avons pas nous faisons tout pour l’avoir, et lorsqu’il est là nous sommes pleinement satisfaits et il n’y a plus lieu de rechercher autre chose. Notre mode d’être fondamental est fonction du bonheur, que nous le voulions ou non. De ce fait la philosophie, parce qu’elle coïncide avec le bonheur, nous est essentielle et ne peut en aucun cas appartenir au passé de l’existence ou être différée à demain.
L’essentiel du bonheur réside dans le plaisir : non dans un plaisir gras sans discernement, non dans l'hédonisme débridé. L’accès au plaisir, c'est du travail personnel et de la discipline. La philosophie, précise Epicure, est censée nous donner accès au bonheur parce qu’elle ouvre la voie du plaisir en nous permettant de sélectionner les « bons » plaisirs parmi ceux disponibles. Tout plaisir est un bien mais tout plaisir n’est pas à choisir. Je peux renoncer à un plaisir si je sais qu’il peut engendrer à terme de grandes douleurs et je peux même m’infliger certaines douleurs si je sais qu’il va en résulter un désir et un plaisir plus stable. L’épicurisme est l’art du juste calcul (le « raisonnement sobre ») : on va jouir, mais dans la sobriété, on va jouir, mais dans un certain calcul.
Le soin du corps, une double diététique : celle de l’âme dans le choix que nous faisons des désirs, celle du corps qui doit nous accompagner aussi dans l’existence. Une économie globale des satisfactions de l’âme (survie, bonheur) et des satisfactions physiques (santé).
L’intelligence des situations : le sage est celui qui dispose d’une vertu particulière qu’on appelle la prudence, c'est-à-dire une vision précise, concrète des situations qui vont permettre de discriminer ce qui est plaisant véritablement de ce qui l’est en apparence. Ce face à face entre la vertu de prudence et le plaisir pose toute la subtilité de la philosophie d’Epicure. On ne choisit pas la vertu contre le plaisir, au contraire, il existe une relation explicite très forte entre les deux. Le plaisir est l’impératif, le but et la fin de toute notre existence, mais il ne va pas sans vertu. Par exemple, s’habituer à peu de chose c’est se préparer à faire face à toutes les circonstances. Epicure propose une philosophie du plaisir mais sans l’aliénation à laquelle le plaisir peut aboutir.
La vie implique nécessairement d’éprouver de la douleur ou du plaisir. Au contraire, lorsqu’il y a mort il n’y a plus de sensation, ainsi il ne peut y avoir de coexistence entre la vie et la mort : nous ne sommes jamais contemporain de notre propre mort. Nous ne devons pas croire que le plaisir dure éternellement.
Le propre du plaisir est de ne pas durer : il a une qualité intrinsèque au moment où nous l’éprouvons, sans idée de perpétuation. Le fait que la vie ait un terme est conforme à la nature même du plaisir. Lorsque nous avons peur de la mort nous faisons un contre-sens sur notre nature et sur la nature (si j'ai bien compris).
Bon, disons-le tout net, même après avoir lu (et relu) ce texte je dois avouer que j’ai toujours peur de mourir.
Ne pas désespérer d’arriver un jour à l’état où Epicure nous invite.