Lettre à Ménécée, petit guide pratique à l'usage du vivant, est un ouvrage fondamental. Le lire est indispensable si l'on veut pouvoir s'émanciper de l'hédonisme trivial et vulgaire répandu aujourd'hui dans les conversations philosophiques de comptoir. Pas particulièrement adepte de l'épicurisme ou de l'hédonisme (je me range plus volontiers dans la pensée stoïcienne de Sénèque notamment), je souhaitais avoir un éclaircissement sur cette noble école philosophique caricaturée par la consommation de masse et la recherche du plaisir à tout prix. Mais surtout, par les temps qui courent, moroses et mélancoliques, c'est le secret du bonheur que promet Épicure qui m'intéressait davantage. Recherchons le plaisir car il n'est pas contraire à la nature, nous dit le fondateur de l'école du Jardin, mais pour vivre pleinement et sagement, l'usage de la raison (modérant) dans la recherche du plaisir est primordial.
On ne peut qu'être ébloui à la lecture de court texte datant du IVe siècle avant J.-C., les préceptes philosophiques d'Épicure sont atemporels et d'une clairvoyance ahurissante. Il incarne la discipline philosophique à la perfection : retrait des contingences du monde, observation, réflexion générale, enseignement. Affirmer l'existence de l'atome dans la matière il y a 2400 ans, faut être sacrément bien campé dans son slibard ! Être indifférent aux divinités, c'est aussi déroutant. Mais finalement, cela ne surprend guère, quand on y réfléchit les croyances grecques ou romaines ont toujours eu une fonction civique, institutionnelle plus que spirituelle. On croyait aux dieux sans y croire, cette remise en question n'avait d'ailleurs aucun sens.
En effet, ce n'est ni l'incessante succession des beuveries et des parties de plaisir, ni les jouissances que l'on trouve auprès des jeunes garçons et des femmes, ni celles que procurent les poissons et tous les autres mets qu'offre une table abondante, qui rendent la vie agréable : c'est un raisonnement sobre, qui recherche la connaissance exacte des raisons de tout choix et de tout refus, et qui rejette les opinions à partie desquelles une extrême confusion s'empare des âmes.
Épicure donne également au lecteur quelques conseils pour appréhender la mort et donc la vie. Très intéressant. Que dirait-il aujourd'hui des recherches transhumanistes ? Il serait ulcéré, certainement. L'homme est devenu insatisfait de sa propre condition et souhaite s'augmenter. La sagesse des Anciens manque à ce monde devenu fou où l'homme subit la loi du libéralisme outrancier jusque dans sa propre chair.
En effet, il n'y a rien de terrifiant dans le fait de vivre pour qui a réellement saisi qu'il n'y a rien de terrifiant dans le fait de ne pas vivre.
Pour ma part, j'ai lu l'édition GF Flammarion très complète proposant une présentation générale d'Épicure et de sa pensée remise en contexte. Celle-ci comporte, outre des repères chronologiques, un petit dossier sur le poète romain Lucrèce, disciple d'Épicure, d'une trentaine de pages. Excellent, on appréhende ainsi la postérité immédiate de la pensée du maître. Comme je vous l'ai dit plus haut, la Lettre à Ménécée est en réalité extrêmement courte (20 pages à peine). Sans annexe, on n'y comprendrait pas grand chose ou manquerait les 3/4.
Lire ou relire des classiques comme Lettre à Ménécée permet d'ordonner sa vie, de se construire et avancer. Essentiel pour qui veut vivre avec éthique et raison dans un monde sans repère.