C'est difficile "d'évaluer", de critiquer des lettres vu qu'elles ne sont pas destinées à être lues par une tierce personne et qu'elles n'ont pas vocation à être des œuvres d'art. Je ne lis que peu de correspondance, j'ai lu celle de Sade, les lettres de Céline à la NRF et maintenant ce recueil bien plus vaste de lettres de Céline qui recouvre quasiment l'intégralité de sa vie.
Et la première chose qui marque c'est que même enfant lorsqu'il écrit à ses parents sur sa vie, sur ce qu'il fait, personne n'écrit comme ça aujourd'hui et je ne suis pas sûr qu'un seul gamin d'une dizaine d'années en soit capable. Je ne dis pas que le niveau baisse, je dis juste que c'est vraiment impressionnant et mine de rien c'est vraiment intéressant parce que ce Céline là n'est qu'un petit garçon qui écrit à ses parents ce que les enfants racontent à leurs parents d'habitude dans les moindre détails. Et donc on va voir l'évolution de Céline, du petit Louis-Ferdinand Destouches au type amer qui envoie tout valdinguer et qui se fait traiter d'anarchiste.
Le changement se situe vraiment au niveau de la seconde guerre mondiale, on voit un Céline avait qui arrive à être bienveillant, amical, vraiment touchant lorsqu'il écrit à des femmes notamment, dont on ne peut que suspecter un amour qui les lie (j'aime beaucoup les lettres qu'il envoie à Cillie Ambor), à un Céline haineux, plein d'amertume...
Alors je sais bien que le Céline du Voyage au bout de la nuit n'était pas un ange, il suffit de lire les descriptions des africains, des colons dans ses lettres et elles ne sont guère plus reluisantes que ce que l'on lit dans dans le Voyage, mais on sent encore un peu d'humanité, un peu d'envie de se montrer sous un beau jour à certains de ses correspondants.
Mais une fois la guerre déclarée, non seulement il ne se contient plus sur les juifs, et franchement ça y va, presque autant que dans ses pamphlets, ce qui permet de goûter à nouveau à sa délicieuse haine, mais c'est surtout après, une fois la guerre passée, lorsqu'il est en prison, lorsqu'il est au Danemark, il rabâche à tout le monde ses 75% d'invalidité lors de la première guerre mondiale, le fait qu'il soit un vrai patriote, que si la guerre avait été gagnée par Hitler tous seraient entrain de ramper à ses pieds et que Céline serait le seul en danger car il était considéré comme un dangereux anarchiste...
Les lettres s'enchaînent, se ressemblent parfois... il envoie tout voler et souvent ça fait écho à ce qu'il peut dire dans ses romans. Ce qui fait que je considère ces lettres comme une lecture permettant une comparaison, une prise de distance, un apport des plus appréciable par rapport au Bardamu des romans et on revit en quelque sortes ce que l'on a déjà pu lire mais d'une autre manière, où selon à qui il parle il va tenir un autre discours, selon qu'il veuille se défendre, se faire aimer, plaire, ou bien envoyer chier.
Ses lettres sont parfois écrites "normalement" et parfois dans un style proche de celui de ses romans, des points de suspension, de l'argot, tout en étant extrêmement virulent. Bref du pur Céline.
D'ailleurs il est noter que ce livre ne fait pas doublon avec Lettres à la RNF puisque là on n'a que les lettres de Céline et il me semble qu'elles n'y sont pas toutes. On n'a gardé que les meilleures dont cette fameuse dernière lettre écrite la veille de sa mort pour annoncer la fin de Rigodon, son dernier roman.
Sachant qu'il est mort en 61, c'est assez étrange comme expérience de voir les années de sa vie défiler et lui agir inconsciemment sans savoir que sa fin approche et donc envoyer cette fameuse dernière lettre de manière totalement anodine, sans que rien ne laisse présager son trépas dans les heures à venir.
Bref, c'est une excellente sélection de lettres, peu censurées vu ce qui est dit ici sur l'Afrique ou sur les juifs, permettant d'avoir une réelle idée du personnage qu'était Céline, aussi haut en couleurs qu'imbuvable, mais surtout désespérément doué. C'est long, ça m'a pris un mois à lire, mais ça valait vraiment le coup et ça m'a donné envie de lire Nord et Guignol's Band les deux romans que je n'ai pas encore eu l'occasion de lire.
à noter également que sa défense contre "l'épuration" à la libération me semble tenir la route, malgré toute la mauvaise foi et que le voir s'égosiller sur papier à tenter de se défendre est tour à tour amusant, agaçant, virtuose et quelque part assez touchant.