Milena Jesenska a 23 ans, Kafka en a 36, quand elle commence à traduire en tchèque certaines de ses nouvelles. Elle est mariée mais son couple va mal. Ainsi débute leur correspondance (1920-1924), mais nous n'avons que les lettres de Kafka. Leur sympathie se transforme en passion. Milena habite Vienne et Franz Prague. Ils ne se voient que deux fois : quatre jours à Vienne et un jour à Gmünd. Leur amour, avant tout épistolaire, chavire entre l'espoir et les angoisses de Kafka, rongé par l'auto-dénigrement. "Que nous ayons dû connaître aussi un tel accord dans le domaine des ténèbres, c'est le plus étrange de tout, et je ne puis vraiment y croire qu'une fois sur deux".
Milena reçoit des lettres étranges, où l'amour et la haine s'entremêlent : "L'amour, c'est que tu sois pour moi le couteau avec lequel je fouille en moi."
"Ta jalousie, au bout du compte, n'est qu'un souhait de mort."
Leur correspondance devient un sujet en soi, symbolique de leur séparation entre Prague et Vienne : "Comment a pu naître l’idée que des lettres donneraient aux hommes le moyen de communiquer ? On peut penser à un être lointain, on peut saisir un être proche : le reste passe la force humaine. Écrire des lettres, c’est se mettre nu devant les fantômes ; ils attendent ce moment avidement. Les baisers écrits ne parviennent pas à destination, les fantômes les boivent en route".
La peur qu'éprouve Kafka de se lier à Milena, comme avec les autres "fiancées" avant elle, imprègne bien des lettres : "Les plus belles de toutes tes lettres (et les plus belles c'est beaucoup dire, car elles sont toutes ensemble et presque dans chacune de leurs lignes ce qui m'est arrivé de plus beau dans la vie), ce sont celles dans lesquelles tu donnes raison à ma "peur", tout en essayant d'expliquer pourquoi je ne dois pas l'avoir. Car moi aussi, même si j'ai parfois l'air d'être son avocat soudoyé, je lui donne probablement raison au plus profond de moi-même, que dis-je ? elle compose ma substance et c'est peut-être ce que j'ai de meilleur, c'est peut-être aussi l'unique chose que tu aimes en moi. Que pourrait-on en effet trouver d'autre à tant aimer en ma personne ? mais elle, elle est digne d'amour."
Dans "Vivre", Milena écrit : "C'était un homme et un artiste doué d'une conscience si aiguisée, qu'il entendait même là où les autres, les sourds, se sentent en sûreté."