C'est l'histoire d'un mec super triste (on l'appellera Martin) qui se pinte gentiment au comptoir d'un troquet un soir, et qui se fait conseiller un bouquin par un pote à lui (on l'appellera Marco). Tous deux sont méchamment avinés.
Le phrasé haché et la bouche pâteuse, Marco dit à Martin combien ce bouquin pourrait révéler des choses sur lui-même. « Quelle place accordes-tu à la création dans ta vie Martin ? ». Il enchaîne, de façon décousue : « La vie ne te laissera pas tomber, c'est ce qu'il dit Rilke dans ses lettres. Tu vas surmonter cette épreuve mec. Tu en ressortiras même plus honnête avec toi-même. - Il s'appelle comment ton truc ? - Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke. - Comment ça s'épelle ? - Je sais plus, mais tu veux un autre Get 27 ? - Ouais. »
Une vraie bonne discussion de piliers de bars.
Martin rentre chez lui, se lève le lendemain, migraineux, et passe chez Marco chercher le bouquin. Un tout petit bouquin ; une dizaine de lettres, sur plusieurs années, entre Rainer Maria Rilke et un jeune homme qui cherche sa voie. Toutes les lettres ont plus ou moins une thématique : accomplissement de soi, tristesse, solitude, amour... 70 pages à peine, à lire dans un TGV ou au coin de feu. La vie est (parfois) bien faite, Martin doit prendre le TGV pour partir à la campagne et se ressourcer au coin du feu.
Martin monte donc dans le TGV. Pour une fois, le TGV part à l'heure (un détail pas vraiment important dans cette critique, mais qui mérite d'être souligné malgré tout). Il ouvre le bouquin. Et le lit. D'un trait, sans même passer par la voiture Bar s'acheter un croque-monsieur surgelé à 8 euros et des poussières. Martin regarde alors au dehors.
Il est bouleversé. Bouleversé par la modernité et la sensibilité des propos (sur la vie en général, sur les états de transition dans lesquels en réalité on avance comme jamais, sur les vertus de la solitude, sur la nécessité de faire son introspection, d'être honnête avec soi-même...). Bouleversé par la qualité de l'écriture, par la poésie qui se dégage de cette correspondance. Bouleversé par le sentiment d'être autant bouleversé. Martin va alors lire le bouquin une seconde fois. Il va découvrir de nouvelles phrases, de nouveaux moments forts. Et puis une troisième (au coin du feu cette fois). Et une quatrième, et une cinquième. Et à chaque lecture, il s'arrêtera sur de nouvelles petites phrases et réflexions qui le toucheront.
Au-delà du plaisir sans cesse renouvelé qu'il trouve à la lecture, Martin va développer soudainement une furieuse envie d'écrire. Alors, il va écrire. Il va écrire un scénario de 12 pages, personnel, intime, inspiré à chaque instant par l'œuvre qui est devenu son livre de chevet. Un peu illuminé, Martin va se mettre alors en tête de faire découvrir ce bouquin à tout le monde. Il va en acheter plein, sept, huit, neuf, dix. Le conseiller à tout-va : à sa mère, à sa sœur, à ses meilleurs amis, même à son ex (qui ne l'avait pas lu la dernière fois que je l'ai vue, la malheureuse !). Certains lui diront que c'est un « bon » livre, d'autres lui en parleront comme s'ils avaient vu un TGV qui part à l'heure (comme des illuminés si vous préférez).
Un mois après, Marco et Martin vont se retrouver. Même troquet, même degré d'alcoolémie dans le sang. Avec passion, Martin (un peu moins triste) va lui parler avec passion et émotion de son bouquin, et donner à Marco une furieuse envie de le relire (du moins, c'est ce qu'il disait à 3 grammes). La boucle était bouclée. Le regard de Martin lui, sensiblement et définitivement un peu différent sur la vie.
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