L’idée, à savoir critiquer le pouvoir en place à travers un échange épistolaire depuis le Moyen-Orient à travers des lettres dont l’auteur, entre découverte et incompréhension, décrit ce qu’il voit de la société en France, est tout simplement géniale à cette époque.
Observer les mœurs d’une société à travers des yeux inconnus est la méthode idéale pour se détacher de nos idées ancrées et nos habitudes de réflexion. Prendre le parti de l’œil vierge et décrire ainsi d’un regard crédule et confus ce que l’on découvre est le moyen idéal pour se foutre de la gueule des gens. Je fais ça souvent.
Je ne suis pas un libéral, mais je reconnais avoir pris du plaisir en imaginant Montesquieu se foutre de la gueule de la monarchie absolue à travers les saillies déguisées qu’il envoie dans ses lettres par l’intermédiaire d’Uzbek.
J’aime aussi l’idée que l’absence d’une figure autoritaire foute le bordel dans le sérail, et que les énuques, perdus car pas à leur place, font n’importe quoi au milieu de toutes ses femmes et en viennent à péter les plombs, ça légitime la présence d’un responsable servant de clé de voûte en société.
On comprend aussi ce besoin d’émancipation et d’amusement que ressentent les femmes du sérail, déboussolées par l’absence du chef. Roxane se place en figure charismatique et ses échanges avec Uzbek pimentent un peu la monotonie subreptice et sporadique du bouquin.
La réflexion apportée sur les différences entre l’Orient et l’Occident, au niveau des mœurs, des femmes, de la religion, est intelligente car Montesquieu refuse de prendre parti pour l’un et pour l’autre, les défauts et les qualités sont abordées de manière neutre, et avec un style narratif très bien écrit, ce qui ajoute du plaisir littéraire à la chose. On sent qu’il est contre la monarchie absolue Européenne mais aussi contre la polygamie Persane.
En fait, le baron est très à l’aise dans ce style satirique et on sent qu’il prend un plaisir énorme à composer ses lettres, notamment dans son portrait de Law. C’est parfois plat car trop argumentatif mais le sel de sa plume nous remet souvent à flot lorsque nous saisit l’ennui.