Oui, ç'aurait pas été très tentant comme titre, ça n'aurait pas donné envie de lire les Lettres persanes, mais ça résume bien une partie de l'oeuvre. Oeuvre que l'on peut à mon sens diviser en deux parties.
Une première partie se consacre à la peinture et à la critique des moeurs en Perse, en France et parfois de manière accessoire dans le reste du monde, à travers la confrontation des religions catholique et musulmane. Un texte polémique donc, mais qui ne tombe pas dans le mauvais penchant du manichéisme : les Français ont de nombreux défauts, mais les Perses aussi, et les deux ne sont pas exempts de bon sens et de qualités. Une sorte de satire atténuée (car pas de virulence dans les Lettres persanes), visant à interroger le lecteur sur le fonctionnement des différentes sociétés et leur légitimité. Une partie riche, intéressante, instructive, mais qui finit par être foutrement répétitive et lassante et qui ne se suffit pas à elle-même, car il ne semble pas y avoir de fil conducteur ; c'est une simple énumération de multiples aspects, car les deux parties de l'oeuvre ne se recoupent pas, et on a plus l'impression d'être face à un texte argumentatif qu'à un roman.
La seconde partie est celle qui mérite le titre de ma critique. Elle est moindre comparée à la première, et s'occupe exclusivement de la vie dans le sérail du héros, Usbek, de ses nombreuses femmes et de leurs eunuques et esclaves. Ici, il y a une intrigue : puisque Usbek a quitté la Perse pour vivre en France, ses femmes se retrouvent esseulées et chagrines, livrées aux sévères eunuques et aux tentations de la frivolité - comment va évoluer la situation ? Je ne spoilerai pas (trop), mais on assiste à la toute fin du livre à une révolte des femmes, en particulier de Roxane (qui a trop la classe, et puis en plus on a le même prénom muhahaha), laquelle se révèle être une perfide femme intelligente et non une innocente favorite vertueuse.
On peut toutefois faire une concession : il y a bien un recoupement des deux parties dans les lettres d'Usbek et Rica s'interrogeant sur la condition de la femme. Interrogations pourtant théoriques plus que pratiques, au vu de la réaction d'Usbek à la nouvelle du désordre chez ses femmes, ce qui est très intéressant.
Fin qui est moralisatrice grâce à Roxane ; et je suis restée un peu sur ma faim, déçue de ne pas connaître la réaction finale d'Usbek, qui eût sans doute ajouté une dimension réflexive à l'oeuvre.
Il me semble donc que l'oeuvre de Montesquieu a une portée moralisatrice. Elle est subtilement menée (l'oeuvre), implicite, volontairement matière à débat, dense et variée grâce à une alternance argumentation/histoires de coeur. Cependant, cette alternance ne crée pas une véritable cohérence à mon sens et la fin est brutale, trop brutale. Plus la monotonie des échanges, si intéressants soient-ils, d'Usbek, Rica et cie. Je salue toutefois l'audace des Lettres, le génie de Montesquieu et le caractère culte de certains passages.
Et puis c'est un classique. Je suis incapable de sous-noter un classique.
[Critique ancienne, à amender un de ces jours. Je ne suis plus en accord parfait avec mes propos passés.]