Leur âme au diable
Marin Ledun
Gallimard série noire
Depuis que l'Homme a eu la curiosité de faire sécher ses feuilles pour ensuite les brûler en ayant préalablement l'envie de respirer sa combustion, le tabac n'a eu de cesse de s'étendre au plus grand nombre, de s'étirer telle une volute de fumée dans l'air ambiant. Fumer, ça donne du style, fumer c'est un signe de liberté comme ce cowboy en plein canyon. Comment peut-on croire en ces inepties? Ben grâce au marketing et au bataillon de lobbyistes emploiyés par les manufacturiers du tabac qui oeuvrent en coulisse pour embellir, cacher, inciter et contourner la loi dans leurs intérêts. "Leur âme au diable" , le dernier roman de Marin Ledun, par dans la serie noire de Gallimard, nous plonge dans ce système nicotino-politico-mafieux.
1986, juillet, le 28. Deux camions plein d'ammoniac sont braqués près du Havre avec un lourd bilan qui en résulte : 7 morts et une femme disparue. A quoi cela peut-il servir? Peut-être à nourrir les trafics de cigarette de contrebande montés en Europe de l'Est pour répondre à la hausse des tarifs des clopes dans l'Ouest imposée par des Etats qui se servent bien au passage en TVA et diverses taxes douanières. David Bartels, lobbyiste du tabac, ne connaît que trop ces circuits, épaulé par Rojas, son homme de terrain, Anton Mûller, son homme de main sans oublier Valentina et sa société Live events qui propose des prestations en nature afin de faire pencher la balance contre bons soins et d 'orienter les décisions des politiques dans le sens de la fumée. Mais le capitaine Nora, en charge de l'enquête, suit ladite fumée pour pouvoir éteindre le feu.
Eh ben voilà , je vais être encore obligé de dire tout le bien que je pense de Marin Ledun et de sa plume. Cela va devenir lassant depuis plus de 10 ans que je le lis mais c'est un fait immuable , l'auteur landais avec brio nous entraîne dans ce monde sans pitié de l'industrie du tabac avec son cortège de serviteurs qui n'ont de cesse de faire consumer de la clope au détriment de la santé publique, en renvoyant la responsabilité de la situation aux consommateurs et à l'Etat qui autorise la vente en se servant au passage. On est consterné par l'aplomb cynique de Bartels qui, telle une anguille, sort toujours EGT de mauvaises passes; comme admiratif de l'opiniâtreté de Nora, contre vents et marées, faire payer ce mastodonte des faits dont il est intimement convaincu de la culpabilité. Marin Ledun nous embarque dans le circuit clandestin du tabac sur presque 20 ans , se servant des différentes lois contre le tabac comme jalon historico-politique. C'est brillant, intelligent, cela n'oublie pas non plus d'être dénonciateur d'un système qui ne sert que le Capital, quitte à ne pas hésiter à enfumer tout le monde, à commencer par ses lecteurs qui lui ont depuis longtemps confié leur âme à sa prose diablement efficace.