Blues lorrain
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Un prix Goncourt, est-ce que ça veut encore vraiment dire quelque chose ? Nicolas Mathieu avait sorti un excellent premier roman, "Aux animaux la guerre", ayant d'ailleurs fait l'objet d'une critique de la part de votre serviteur. Un roman noir social, sur fond de fermeture d'usine, qui se déroulait dans l'est de la France, les Vosges, je crois. Ici, on est un peu dans la même veine, pour ce qui est du côté roman social et de l'est de la France, même si désormais on est plutôt dans les environs de Florange ou de Thionville.
Par contre, le côté roman noir s'estompe pour faire place à une chronique sociale. Abandon d'un genre parfois qualifié de mineur, le polar, pour pouvoir prétendre à un prix littéraire ? Qui sait. Mais ce n'est guère le propos, ou, pour le dire plus simplement, on s'en fout. Quoiqu'il en soit, la seconde production de Nicolas Mathieu est plus ambitieuse. Puisqu'il s'agit de chroniques qui s'étalent sur presque une décennie, en quatre parties (1992, 1994, 1996 et 1998). Parties qui se déroulent toutes durant l'été, chaud, très chaud, dans ces contrées à climat continental. Et qui se terminent toutes par une scène de sexe, sauf la dernière, peut-être pour montrer qu'une fois l'âge adulte atteint, les classes sociales ne se mélangent plus. Parties également de plus en plus courtes, comme pour marquer l'accélération apparente du temps au fur et à mesure que l'on vieillit. Dans tout ça, le lecteur va suivre l'évolution de trois personnages, qui entrent dans l'adolescence en 1992 : le fils d'un ancien ouvrier de la métallurgie, le fils d'un travailleur immigré (également ancien ouvrier de la métallurgie) et la fille d'une sorte de notable du coin.
Bien évidemment, il est également question de leurs familles et de leurs entourages, ce qui implique à mes yeux le classement de ce bouquin dans la catégorie des chroniques sociales. Inutile de vous faire un dessin, c'est pas toujours gai et chargé d'espoir. D'autant qu'à l'ennui et au désoeuvrement, que l'on pourrait toujours et indépendamment du contexte considérer comme des marqueurs forts de l'adolescence, vient s'ajouter la détresse sociale et la (plus ou moins) lente descente de leurs parents vers la pauvreté et la vieillesse. Il en résulte une ambiance morose, voire très triste, qui rend parfois la lecture de ce bouquin assez pénible. Plus ambitieux que son premier bouquin, disais-je plus haut, mais du coup plus casse-gueule également. A trop vouloir forcer la note, l'auteur nous entraine parfois dans un méli-mélo de crise existentielle adolescente et de crise sociale tout court. Sans parler du temps qui passe et s'enfuit, qui s'il ne concerne pas encore les ados, ajoute au désarroi de leurs ainés. En fait, on est toujours un peu à la frontière de ces deux crises, de l'intime et du sociétal. C'est comme un plat trop riche, ça peut être indigeste.
Il n'en reste pas moins que ce bouquin constitue un excellent témoignage sur la première décennie des trente piteuses, je veux parler de la période 1990-2020. L'âge d'or de l'idéologie néo-libérale : désindustrialisation, individualisation, précarité, isolement, mise en concurrence, lent quoiqu'inéluctable déclassement des personnes, etc. Quand le roman démarre, ça ne fait d'ailleurs que commencer, mais on sait à présent que ça a continué, et de quelle manière ! Ca donne du coup des personnages qui voient leur monde changer, mais sans véritablement savoir où ça va aller. Les plus aisés sont optimistes, ambitieux, ils voient ces évolutions comme des opportunités, d'autant que l'argent coule à flot. Car les établissements financiers ont le prêt facile, préparant la rente à vie qu'on leur sert à présent. Les moins aisés s'accrochent ou pas, vieillissent plus vite, ou parfois en meurent carrément.
Aurait on touché le fond en 2019 ? Nul ne le sait, mais on peut toujours espérer. L'esprit de révolte pourrait bien avoir succédé à la résignation : l'Histoire ne finit jamais.
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le 19 mars 2019
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