Un producteur de télévision de Johannesburg revient dans la ville de son enfance, quelque part dans le veld sud-africain. Sans nom ni visage, notre protagoniste est à la recherche de traces, souvenirs d'un berger du début du siècle dernier, dénommé Daniel Steenkamp, et dont les poèmes remplis de grâce et de piété ont miraculeusement survécu au temps. "Danie le poète" aurait aperçu un ange se dresser au dessus d'un buisson, alors qu'il gardait des moutons en plein milieu du veld. Cette apparition sacrée, immatérielle, aura ensuite été tantôt décriée, voire ridiculisée mais fera aussi l'objet d'une admiration de quelques uns, qui voyaient dans ce miracle la démonstration que la vie cruelle et aride dans cette nature hostile pouvait avoir un sens.
Fuyant l'agitation et l'impermanence de notre société de consommation et de communication, notre protagoniste ne parvient toutefois pas à saisir les mystères de ce passé, bute contre le voile des souvenirs, échouent face aux secrets que cachent les quelques objets restants de cette époque révolue.
Le roman nous permet alors de remonter successivement dans le temps, en nous plongeant dans les pensées d'hommes et de femmes également fascinés par ce poète autodidacte. Un instituteur, souffrant dans son orgueil car incompris de tous ; un jeune pasteur, à l'immense humilité mais à la santé fragile ; notre poète enfin, d'une famille extrêmement modeste mais touché par la grâce de Dieu. Le dernier chapitre du roman, le plus bouleversant, nous laisse écouter les paroles des femmes qui ont partagé la vie de ces hommes, souvent forcées à vivre dans l'ombre et à plonger dans l'oubli.
Dernière oeuvre publiée en France du regretté Karel Schoeman, L'heure de l'ange est une oeuvre majeure qui vous plongera dans les méandres d'un passé révolu, impalpable et inaccessible d'une société, celle des Afrikaners, où se mêlent piété, détermination et violence face à l'hostilité d'une terre qui ne veut pas d'eux et fera tout pour les engloutir.
L'heure de l'ange est un roman exigeant, dense, suscitant une réflexion passionnante sur la vanité de notre société contemporaine, sur l'incapacité des hommes à laisser une trace et à vaincre le passage du temps, sur la place du sacré dans nos vies, sur le rôle des femmes face à la domination des hommes, sur la violence à l'origine de la fondation de toute communauté, sur la difficulté de la littérature à saisir la subjectivité de nos émotions et pensées. Si le ton du livre est profondément triste, Karel Schoeman nous invite toutefois à tenter également de déterrer le passé, de le faire revivre et de faire ce travail exigeant, éprouvant mais nécessaire de la mémoire.
Impossible donc de résumer ce chef d'oeuvre. Je préfère donc laisser la parole à Karel Schoeman lui même (prologue) :
La succession des événements qui font l'histoire a eu lieu dans le vide béant du vent, de la pierre et de l'herbe (...). Bien sûr, bien des choses ont été emportées par le vent, dispersées, perdues, et ont fini par s'évanouir avec les derniers témoins qui en conservaient le souvenir, mais des traces subsistent çà et là, comme le clocher du temple, une haie de cyprès ou un ange de marbre, ou encore de petits fragments du passé, un peigne peut-être, et il est encore possible de faire des découvertes fortuites qui montrent que ce qui est passé n'est pas nécessairement irrévocable, mais que le passé et le présent forment un continuum. (...) Ainsi, pour qui se donne la peine de chercher un peu, les rues larges et désertes qui se perdent dans le veld peuvent-elles se transformer en labyrinthe, en dédale, en un savant mélange de réalité et de souvenirs entremêlés. (...) Le passé est un autre pays, tellement lointain qu'il est en inaccessible, et ce que l'on peut en récupérer, ce que l'on peut conserver, on l'emporte avec soi.